Looking for Marinelli
Pionnier français du générique télé

Propos recueillis par Charles Villa et Tony Côme, en décembre 2018. Images reproduites avec l’aimable autorisation de Gérard Marinelli. Crédits : © Gérard Marinelli.

Le générique de l’émission Thalassa a marqué durablement plusieurs générations de téléspectateurs. Ce célèbre morphing est en effet particulièrement envoûtant, avec ses formes se contorsionnant lentement, son fond bleu abyssal, sa musique onirique. Mais il est surtout très précoce, techniquement parlant, puisque sa première version apparaît sur FR3 dès 1976. De rapides fouilles livrent le nom de son concepteur : il s’agit d’un certain Gérard Marinelli.

Ce nom est associé à de nombreux autres génériques, tout aussi fascinants, comme le psychédélique cheval de feu annonçant l’émission Cavalcade. Mais rien de plus. Aucune autre information à son propos. Pas d’article, pas d’interview… Le créateur est resté dans l’ombre des histoires officielles du graphisme – comme la télévision française en général, jusqu’au travail qu’Étienne Robial a mené pour Canal +.

Était-il encore possible de le rencontrer et d’échanger avec lui ? Le doute a plané quelques temps jusqu’à ce jour de décembre 2018 où, après quelques bouteilles lancées à la mer, un homme aux allures de Santa Claus, coiffé d’une casquette de capitaine et plutôt fringuant pour ses 88 ans, a répondu à notre appel. Nous n’étions pas au bout de nos surprises : « Marinelli », comme il se présente lui-même, a non seulement dessiné la première identité de la chaîne FR3 ou encore celle de l’INA, mais il a aussi côtoyé Raymond Loewy, Cassandre, Savignac et même Nixon !

Strabic : Dans les années 1950, quand vous commencez vos études en France, il existe peu de formations au métier de graphiste, hormis quelques écoles comme les Arts décoratifs. Qu’est-ce qui vous a conduit à cette pratique de l’image ?

Gérard Marinelli : Au départ, je voulais faire de la biologie. J’ai commencé par intégrer une prépa agro à Marseille, à l’aide d’une bourse que l’on m’a supprimée au bout de deux ans. À la suite de ça, j’ai été admis à Sup de Co Marseille. Je n’ai aucune formation académique aux arts graphiques. À l’époque, les Arts déco, Les Gobelins, je ne connaissais pas.

Ma véritable formation graphique, je l’ai reçue avant la guerre, quand j’allais avec mon grand-père acheter le Journal de Mickey, l’ancien. Ensuite, Fantasia m’a beaucoup marqué.

Durant ma scolarité à Sup de Co, j’ai fait un stage à Air France, qui a fini par m’embaucher. J’ai notamment eu l’occasion de faire un visuel en vitrine pour vanter le vol au-dessus du pôle Nord. J’ai également pu bénéficier de billets gratuits qui m’ont permis de visiter deux fois les studios de Disney à Burbank. La première fois, n’ayant aucune invitation, j’ai pu me faufiler avec une mission mexicaine grâce à ma moustache. La seconde fois, j’ai prétendu faire une demande d’emploi et lorsque on s’est aperçu que je n’avais qu’un permis tourisme, j’ai été éjecté.

J’ai accompli par la suite mon service militaire (pas loin de 30 mois à l’époque) en étant notamment affecté à la CRIT (commission de réforme de l’instruction du tir), où je devais créer différents visuels et films. À ce moment-là, j’ai été contacté par un entrepreneur américain qui avait retenu mon visuel pour le vol au-dessus du pôle et, deux mois après ma libération, je me retrouvais en Pennsylvanie en charge de l’image de marque de Raydel Homes. Six mois ont suffi pour me décider de me rendre ensuite à New York.

Deux jours après avoir contacté la firme de Raymond Loewy, j’étais employé pour travailler sur la World’s Fair de Seattle.

Ma première formation scientifique me permettait en effet d’interviewer des savants et même un prix Nobel pour faire comprendre la nouveauté de l’ADN.

À l’issue de ce travail, Raymond Loewy voulait m’intégrer dans son équipe. Je lui ai expliqué qu’à mon âge, j’étais pressé de créer et que la publicité me semblait plus à même de me satisfaire. Sans se vexer, comme auraient pu le faire certains dirigeants français, il m’a recommandé auprès de l’agence J. Walter Thompson. Après m’avoir demandé de créer quelques projets de campagne pour leurs clients, ils ont accepté de m’employer mais demandaient une semaine de réflexion pour le salaire auquel je prétendais. Entre temps, une autre agence de publicité, J. M. Mathes, m’a proposé de m’embaucher immédiatement à ce tarif-là. Après deux ans, je décidais de me mettre à mon compte, avec Fiat et Guerlain comme clients.

Manuel de présentation de la Fiat 1500 Spider, dessinée par Pininfarina, c. 1960.

Après cette première expérience professionnelle à l’étranger et ces prestigieuses collaborations, avec Raymond Loewy notamment, vous rentrez en France. Y avez-vous fait des rencontres aussi cruciales qu’aux États-Unis ?

GM : J’ai appris un jour que Cassandre cherchait un partenaire pour créer un nouveau caractère d’imprimerie. Sans hésitation, je suis allé le rencontrer à Belley dans l’Ain et j’y suis resté. Malheureusement, Cassandre était un peu fatigué et, six mois après mon arrivée, il décidait de faire une cure de sommeil.

Cassandre m’avait présenté Savignac que j’ai ensuite eu le plaisir de fréquenter à Paris pendant de nombreuses années, lors d’un déjeuner rituel le jeudi. Petite anecdote à ce propos : nous bavardions un jour au coin de la rue Volney, quand passe une limousine avec Nixon à l’intérieur. Je l’indique à Savignac alors que Nixon, se voyant reconnu, me fait un salut de la main...

« Marinelli, vous connaissez Nixon ?! »




Plaquette de présentation de l’Année européenne du cinéma et de la télévision (AECTV), présidée par Simone Veil, 1988.



Storyboard d’un générique TV. Projet non réalisé, s. d.

Dans les années 60, la télévision française est un média encore jeune où tout est encore à inventer. Comment s’est déroulée la création de vos premiers génériques ? Quel était votre processus de travail et quel rapport entreteniez-vous avec vos commanditaires ?

GM : En 1965, je reçois un appel de Jean Lanzi, le PPDA de l’époque – un ancien camarade de classe. Il m’apprend qu’à l’ORTF, il se monte une émission d’actualités qui doit s’appeler Panorama. Ils avaient déjà la bande son mais pas encore le générique. Or, l’émission commençait à la fin de la semaine... Quelqu’un me chante la musique au téléphone : « Bam, bam... bam, bam... » car sur le moment, ils ne remettaient plus la main sur l’enregistrement. Et je devais trouver l’inspiration à partir de ça !

Je suis parti chez Thomson pour filmer un radar, après avoir réglé de multiples formalités, car il s’agissait bien sûr de secret défense ! Le responsable des trucages de Jean-Christophe Averty a travaillé nuits et jours pour sortir le générique à temps.



À 20h, le film était encore au sèchage et, à 20h30, dans la précipitation, le générique a été passé à l’envers !



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Dix ans après, c’est à vous que l’on confie l’identité globale de FR3, nouvelle chaîne publique avec un fort ancrage régional. Quelle marge de manœuvre vous a-t-on donnée ? Quelles étaient les limites de votre travail ?

GM : En 1975, Claude Contamine était en train de monter la troisième chaîne, qu’il voulait nommer « France Régions ». M’ayant convoqué pour des projets de génériques, il m’a demandé ce que je pensais du nom, je lui ai dit que ce n’était pas un nom de chaîne et que ma concierge ne dirait pas qu’elle avait vu un film sur « France Régions ».

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Il y avait la une, la deux, il fallait tout simplement l’appeler la trois car il y allait ensuite avoir la cinq, la six, on le savait. « France Régions » avait déjà été déposé, mais on a quand même réussi à lui faire changer de nom. « FR3 » ça sonnait mieux.

J’ai signé l’habillage complet de cette nouvelle chaîne. J’ai réalisé la plupart des génériques, je faisais la création, la rédaction, je dirigeais la musique, le montage et même la construction de certains plateaux. C’était passionnant. J’ai dessiné un logo très simple, un hexagone dans un œil, que l’on pouvait décliner à l’envi. Je n’ai rien inventé, toutes les chaînes de télévision américaines ou japonaises de l’époque avaient dessiné leur logo à partir d’un œil. Mais ce logo ne plaisait pas à tout le monde :

« On ne voit pas la Corse dans votre logo, Marinelli ! »

En suivant cette logique, j’ai suggéré que le gouvernement demande à chaque propriétaire de voiture de coller sur son pare-brise à côté de sa vignette auto (elle aussi en forme d’hexagone) un petit confetti pour représenter la Corse !



Storyboard d’un générique de fermeture d’antenne de FR3, non réalisé, fin des années 1970.





Le générique le plus radical que vous ayez conçu est peut-être celui de Cavalcade, une émission hippique où l’on donnait les résultats du tiercé. On peut y voir une sorte de Muybridge psychédélique. Comment l’avez-vous réalisé ? S’agit-il d’images de synthèse comme c’est le cas pour le générique de Thalassa ?

GM : On a d’abord filmé un cheval noir lancé au galop devant un mur clair. Puis, par confrontation du positif et du négatif, on a pu isoler la silhouette de l’animal. On a coloré les franges en vert et rouge. Par chance, en se fondant, ces couleurs dessinent une sorte de flamme orangée. C’est un heureux hasard. Au final, j’aurai mieux fait de vendre ces images à Ferrari, car la télévision française m’a toujours très mal payé.





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Cherchiez-vous à mieux connaître les contraintes spécifiques des outils et techniques qu’on pouvait mettre à votre disposition au fil des décennies pour travailler vos images à partir de ces limitations – et non plus les subir ? Preniez-vous le temps de faire cette « veille » ?

GM : C’était impossible car à l’époque, dans le milieu de la télévision, on était déjà en retard avant même d’avoir reçu la commande ! Je vais vous donner un exemple parlant. On m’a demandé de concevoir un générique pour les informations de FR3. J’avais commis le générique de Panorama, je voulais reprendre l’image d’un radar mais cette fois aux couleurs de l’arc en ciel. Je suis parti travailler dans un studio à New York mais je n’avais qu’une semaine pour ramener la vidéo. La veille de mon retour, ils n’arrivaient toujours pas à le faire, ils pianotaient sur leurs machines, mais c’était nul ! Alors je me suis énervé et je l’ai fait moi-même, grâce au système D :

j’ai trouvé un plateau qui pouvait pivoter sur lui-même, j’y ai fixé un tube fluo sur lequel j’ai collé des bandes de couleur transparentes et j’ai fait tourner ça, on a filmé, ça a fait l’affaire !

Les gens se sont longtemps demandé comment j’avais réussi à obtenir ces effets ! J’ai dû bricoler, à la dernière minute, pour ne pas revenir en France les mains vides. Je n’avais que huit jours ! Alors vous voyez, ça laissse peu de temps pour la veille technologique ! Pour le Cinéma de minuit, il y a une erreur dans l’enchainement des baisers, ça ne se voyait pas trop donc on n’a rien changé. De toute manière, on ne nous aurait pas laissé le temps de refaire un montage.





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Le morphing est un motif récurent dans votre travail. On retrouve cette technique dans plusieurs de vos génériques mais c’est surtout dans celui de l’émission Thalassa qu’il prend toute son existence. Est-ce le développement de l’informatique qui vous a donné envie et permis de réaliser cela ?

GM : Au départ, Thalassa n’était qu’une rubrique du journal télévisé. En 1976, quand c’est devenu une émission à proprement parler, on m’a donné carte blanche pour la direction artistique. Tout ce qui m’a été demandé, c’était d’évoquer les sujets qui pouvaient être abordés dans une émission sur la mer. Un bateau, une rose des vents, un coquillage, un scaphandrier ou encore la maison sous la mer conçue par l’architecte Jacques Rougerie.



L’idée du morphing m’est venue assez immédiatement. Les nageoires du poisson deviendraient les voiles du bateau, etc. C’était comme un jeu, une kyrielle, ça me paraissait évident. Avec du recul, je trouve que le coquillage est très mal dessiné, mais c’est moi qui l’ai dessiné alors je ne peux m’en prendre qu’à moi-même ! L’ouverture est mal placée, le reste est disproportionné, mais une fois animé, ça passe. Il n’y a que moi que ça gêne.

Dessins originaux du générique de Thalassa, 1976.





Pour réaliser ce générique, on a dû utiliser un ordinateur de l’armée anglaise. L’équipe qui a travaillé sur ce film était dirigée par Tony Diment, un professeur d’Oxford. Ils ont retranscrit les dessins et le storyboard que je leur avais donnés, numéroté les segments pour créer les masses que je leur avais indiquées. Ce qui est intéressant dans ce mode de travail, c’est de bien comprendre les possibilités offertes par la machine et d’en tirer le maximum. Le film a ensuite été tourné dans les célèbres studios d’EMI à Londres.



Au début, Georges Pernoud m’a dit : « Gérard, je crois qu’on s’est planté ! C’est un peu enfantin et ça manque de couleur. Ça fait tableau noir. » Je lui ai répondu que s’il voulait des couleurs, il fallait aller voir Catherine Chaillet, ma collègue de TF1.




Recherches pour le plateau de l’émission Thalassa, s. d.




Pour réaliser le second générique, en 3D, j’ai mis 6 ans. C’était du calcul, de la vraie 3D, du ray-tracing avec tous les reflets. Je travaillais encore avec du matériel Amiga. À l’époque, Apple ne faisait encore rien. Je faisais venir de Belgique, à mes frais, des experts Amiga pour travailler avec moi. Une fois la voile dessinée par exemple, il fallait attendre très longtemps avant de la voir enfin apparaître en 3D à l’écran. La machine avait travaillé toute la nuit et un quart de l’image à peine était visible. Il fallait encore attendre 24 heures pour se rendre compte qu’on n’avait pas choisi la bonne couleur et qu’il fallait tout recommencer !







Aujourd’hui, on ne peut plus comprendre ces lenteurs de calcul. Avec l’ordinateur, si vous avez besoin de 2.500 projecteurs à 10.000 watts, vous les avez instantanément. Mais ce n’est pas un service d’avoir tous ces moyens à disposition si on n’a pas au préalable acquis de bonnes connaissances en photographie. Les jeunes qui dessinent des images de synthèse de nos jours devraient commencer par faire un stage de photo, de la photographie still life par exemple, pour apprendre ce qu’est la lumière.

Vous avez également dessiné le premier logo de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) qui rivalise d’élémentarisme avec le logo de FR3 et tend vers l’abstraction pure. Vous avez proposé une version animée de ce logo, ce qui devait être assez rare à l’époque. Qui a développé l’animation ?

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GM : Je me suis occupé de l’identité de l’INA dès sa création, en 1975. Au début, ça devait s’appeler IAV, mais ça posait un problème, car à l’oral ça donnait Yahvé ! Ce qui n’était pas conseillé pour aller démarcher le Moyen Orient… J’ai opté pour deux points moléculaires, de couleur rouge et vert – les couleurs de la vidéo – mais certains y voyaient le drapeau de je ne sais quel pays et râlaient !

C’est peut-être Francis Coupigny qui l’a animé, une sorte de chercheur génial de l’INA, qui a inventé un célèbre modèle de synthétiseur. Quoi qu’il en soit, j’avais affaire à des ingénieurs électrotechniciens, pas à des graphistes. Ils n’avaient aucune culture graphique. Aujourd’hui, tous ceux qui sont derrière des grosses bécanes pour faire de l’image de synthèse ont, par obligation, une assez bonne culture graphique. À l’époque, c’était loin d’être le cas, ces ingénieurs faisaient ce qu’on leur disait de faire, mais ils ne comprenaient pas pourquoi. Il n’y avait pas d’adhésion d’équipe. C’était des fonctionnaires de l’image de synthèse.






Animation du logo de l’INA, recherches, c. 1975.





Dans quasiment tous vos génériques, il existe un lien fort entre l’image et la bande son. Qui étaient les auteurs de ces morceaux originaux ?

GM : J’ai travaillé avec Francis Lai, qui a réalisé tout l’habillage musical de FR3, et qui vient de nous quitter. La musique du Cinéma de minuit, c’est lui. On lui doit la musique de la plupart des films de Lelouch, dont Un homme et une femme. J’ai également souvent collaboré avec Guy Pedersen. Il avait la réputation d’être difficile mais nous nous sommes toujours très bien entendus. Il faut lui rendre hommage. Il était toujours à l’écoute de mes demandes. Je n’ai jamais eu à lui faire refaire un enregistrement. Pour le générique de Thalassa, il a particulièrement bien réussi ce délicat travail qui consiste à écrire une musique qui colle au rythme des images.



Pochettes des disques du label INA/Collection GRM (Groupe de recherche musical, rattaché à l’INA en 1975) dirigé par François Bayle, 1978-1981.




Quand avez-vous cessé votre activité de graphiste ?

GM : J’ai travaillé dans mon studio, Tree Studio, rue Las-Cases dans le septième arrondissement de Paris, jusque dans les années 2000. J’ai déménagé un peu « à la cloche de bois » comme on dit. J’ai vidé mes bureaux en trois nuits et clos ma société. Aujourd’hui, tout ça est stocké dans ma maison de campagne. C’est un tel bazar que parfois au lieu d’essayer de retrouver du matériel, une caméra par exemple, je préfère en racheter une ! Certaines machines se sont abimées. Mes lecteurs U-matic ont par exemple déjà tous été jetés à la benne. Je n’ai pas encore trouvé le temps de ranger ni de classer toutes ces archives, tous ces appareils électroniques, ces documents de travail, ces cassettes U-matic, VHS, ces photographies, ces négatifs, ces T-shirts…




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