Recherche et culture libre : approche critique de la science à un million de dollars

Anthony Masure, Alexandre Saint-Jevin

Dans le champ universitaire, la construction et la transmission des savoirs est encore trop souvent ralentie (voire empêchée) par des enjeux commerciaux et/ou par une méconnaissance des enjeux de la culture du libre issue du champ informatique. Des chercheurs peuvent ainsi se voir dépossédés de leurs travaux à cause de contrats d’édition abusifs, ou même être condamnés à de lourdes peines pour avoir partagé des contenus sous copyrights. Mais, au-delà des problèmes légaux, que peuvent faire les chercheurs et designers pour favoriser la libération des connaissances ? Quelles pratiques de publication, de contribution et de valorisation inventer pour répondre à ces enjeux ? La culture libre et les pratiques de design pourraient-elles libérer la recherche de la prégnance des enjeux capitalistes ?

Agrégé d’arts appliqués et ancien élève du département design de l’ENS Cachan, Anthony Masure est maître de conférences en design à l’université Toulouse – Jean Jaurès, laboratoire LLA-CRÉATIS. Sa thèse en esthétique portant sur le design des programmes a été dirigée par Pierre-Damien Huyghe à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses recherches portent sur les implications sociales, politiques et esthétiques des technologies numériques. Il a cofondé les revues de recherche Back Office et Réel-Virtuel. Son essai Design et humanités numériques a été publié en 2017 aux éditions B42.

Directeur de la revue Réel-Virtuel : enjeux du numérique, Alexandre Saint-Jevin est docteur en psychanalyse, psychologue clinicien et professeur d’arts plastiques dans le secondaire et dans le supérieur. Chercheur en psychologie du numérique, ses travaux croisent psychanalyse, esthétique, arts plastiques et cultural studies.

Capitalisme – Design – Droits d’auteurs – Édition – Liberté – Logiciels libres – Néolibéralisme – Publications – Recherche

Design – SIC – Esthétique

1 – Aux origines du capitalisme
1.1 – Du capital à l’automatisation de la finance
1.2 – L’asservissement des populations par la dette
1.3 – Du libéralisme au néolibéralisme
1.4 – La capitalisation du psychisme humain

2 – Écuries et incuries de la recherche : vers une startup-university
2.1 – La mise en concurrence des établissements de recherche
2.2 – Le branding des établissements de recherche
2.3 – La contamination du vocabulaire managérial, le cas du #Bullshidex

3 – Publish or perish, le dépérissement des publications de recherche
3.1 – La privatisation des revues de recherche
3.2 – La prédation des savoirs, l’exemple des publications de psychologie
3.3 – Les problèmes de citation des documents audiovisuels
3.4 – La culture libre comme résistance au copyright madness

4 – Libérer la recherche : six propositions
4.1 – Faire preuve de cohérence entre ses convictions et ses actes
4.2 – Publier sous licence libre, et à défaut donner accès à ses travaux
4.3 – Réutiliser des productions libres de droits
4.4 – Transposer les méthodologies du logiciel libre dans les pratiques de recherche
4.5 – Utiliser et contribuer aux logiciels libres
4.6 – Faire connaître la culture libre

Conclusion. Le vide de la liberté

« Les hommes sont libres [1] – d’une liberté qu’il faut distinguer du fait qu’ils possèdent le don de la liberté – aussi longtemps qu’ils agissent, ni avant ni après ; en effet être libre et agir ne font qu’un [2]. »
— Hannah Arendt

Fondateur de la cybernétique, le mathématicien Norbert Wiener parlait ironiquement de « la science à un million de dollars » pour critiquer la domination de la recherche par les enjeux capitalistes. Amorcée dans son essai The Human Use of Human Being [3] (1954), cette réflexion est développée dans l’article « Science: The Megabuck Era [4] » (1958). Wiener y forge l’expression de « one million dollar », en référence au physicien John von Neumann qui parlait de la science en tant que « Megabuck » ou « Kilogrand science ». Comme l’explique le philosophe de la technique Mathieu Triclot, Wiener critique directement la nouvelle structuration de la recherche engendrant une « partition entre quelques administrateurs de la science qui ne font plus de recherche mais gèrent les immenses fonds publics et la masse des techniciens engagés dans des projets cloisonnés et à courte vue [5] » :

« Ces tâches de dépense et de contrôle exigent tellement de temps et d’énergie qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils [les administrateurs] consacrent une grande partie de leurs efforts à l’organisation et au développement des idées. De plus, ces capacités administratives qu’ils doivent posséder ne vont pas […] de pair avec l’originalité de la pensée, de sorte que le scientifique dont les principales qualités sont d’ordre créatif n’est, dans de très nombreux cas, même pas pris en considération pour la direction de grands projets. » [6]

Annexée sur le modèle entrepreneurial, cette organisation de la recherche étasunienne – aujourd’hui dominante – tend à favoriser les chercheurs se positionnant comme des techniciens administratifs. L’argument de Wiener sonne, implacable : « Ces programmes spéciaux financés à coup de millions peuvent certes exploiter efficacement des idées existantes, mais ils ne produisent aucune recherche nouvelle originale [7]. » D’une façon similaire, sur le continent européen, le philosophe allemand Martin Heidegger critiquait dès les années 1950 la réduction de la figure du savant à celle du technicien sous le terme générique de « chercheur ». Il entendait par là prévenir la communauté intellectuelle du danger de l’infiltration des maisons d’édition dans les enjeux de recherche, où ce ne sont plus les nécessités internes à la recherche qui prédominent mais des nécessités commerciales :

« Le savant disparaît. Il est relayé par le chercheur, engagé dans des programmes de recherches. Ce sont en effet ces derniers, et non pas l’entretien d’une érudition, qui donnent au travail son atmosphère acérée. Le chercheur n’a plus besoin chez lui de bibliothèque. Il est d’ailleurs constamment en route : il délibère dans les sessions et s’informe dans les congrès. Il se lie en outre aux commandes des éditeurs, ces derniers ayant maintenant leur mot à dire au sujet des livres à écrire ou à ne pas écrire. » [8]

Le psychanalyste français Jacques Lacan développera cette critique de manière plus radicale. Dans son introduction à la revue Scilicet, Lacan propose une image d’une grande violence concernant le monde de l’édition, qu’il compare à une poubelle :

« Pour tout auteur sensible à l’air de poubelle dont notre époque affecte tout ce qui de cette rubrique n’est pas strictement scientifique, à ce qui justifie d’un flot montant le mot de poubellication que nous y avons lancé, c’est déjà là sauver la dignité à laquelle ont droit ceux que rien n’oblige à la perdre. S’il faut en passer, nous le disions à l’instant, par le tout-à-l’égout, qu’on y ait au moins les commodités du radeau » [9]

Le recours au terme acerbe de « poubellication » en lieu et place de publication est pour Lacan une façon de dénoncer la manière dont le monde de l’édition opère un dévoiement de la recherche en lui imposant ses critères de scientificité. Pour Lacan, le monde de l’édition par sa démagogie, qui pour lui est un désir de plaire à travers la vente, fait de la recherche un égout.

Cette méfiance vis-à-vis d’institutions jugées incapables d’autocritique et de capacité d’invention traverse le champ de l’informatique et de la contre-culture de la fin des années 1960. Dans son ouvrage Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture [10], le journaliste Fred Turner offre ainsi une perspective historique sur l’informatique américaine en montrant comment ses rêves et mythologies se sont incarnés, non sans contradictions, dans des objets tels que le Whole Earth Catalog (1968), les communautés en ligne du réseau The WELL (1985), ou le magazine californien Wired (1993). Alors que les ordinateurs centraux (les mainframes) des années 1950 étaient conçus pour que leur code source soit accessible sur simple demande et librement modifiable par les utilisateurs, le passage commercial à l’informatique dite « personnelle » (home computing) des années 1980 engendre une mainmise des entreprises commerciales sur les technologies matérielles et logicielles (hardware et software).

Figure 1. Plan de montage du processeur de l’ordinateur Apple 1, conçu par Steve Wozniak en 1976. Cette image est extraite du mode d’emploi, qui comprenait également un guide de programmation informatique. Sous couvert de facilité d’usage, les machines ultérieures de cette marque ne permettont plus une telle liberté. Source : https://archive.org/details/Apple-1_Operation_Manual_1976_Apple_a/page/n13

Des dynamiques d’opposition vont se constituer afin de « libérer » l’espace informatique du bridage économique limitant les capacités d’ordre créatif. Des groupes comme le Chaos Computer Club (fondé à Berlin en 1981) vont devenir le creuset d’une « culture hacker », à savoir des personnes qui ne travaillent pas pour « l’évolution des technologies existantes, mais [à] la découverte de failles [holes] dans les technologies existantes, et [à] la projection d’un potentiel de changement à travers ces failles [11] ». Cette capacité d’ingéniosité opérée au sein de systèmes techniques a priori fermés (« propriétaires ») rejoint l’idée d’une « libération » de l’assignation de la technique à des valeurs économiques ; c’est ce qu’on appelle la « culture (du) libre » (en anglais : free culture).

Considéré comme le fondateur des logiciels libres, Richard Stallman prend conscience de ces enjeux lorsqu’il travaillait au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT au début des années 1980. L’imprimante collective opérant souvent des erreurs de « bourrage », les chercheurs avaient modifié (hacké) son code source (son « pilote ») pour recevoir automatiquement un signal à chaque erreur et éviter de se déplacer inutilement. Pour parer à ce problème, le laboratoire s’équipe un jour d’une nouvelle imprimante donnée par la marque Xerox, réputée plus fiable, mais dont le pilote n’est pas fourni lors de l’achat. Celle-ci subissant à nouveau des problèmes de bourrage, Stallman se retrouve cette fois dans l’incapacité d’agir. Il se déplace dans un autre laboratoire qui possède le code source (non compilé) du pilote, mais on lui répond alors que la diffusion du code source n’est pas autorisée. Pour Stallman, écrivent ses biographes, « c’était là une trahison pure et simple de l’éthique du programmeur [12] », qui contrevenait au mode de travail coopératif propre aux communautés de hacking. Cette volonté des entreprises de forcer les programmeurs à payer l’accès à l’information va conduire Stallman à initier dès 1983 le développement du système d’exploitation GNU, suivi en 1985 de la création de la Free Software Foundation. Il va ainsi définir le « logiciel libre » suivant quatre libertés devenues canoniques :

– la liberté d’exécuter le programme comme vous voulez, pour n’importe quel usage (liberté 0) ;
– la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu’il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez (liberté 1) […] ;
– la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider les autres (liberté 2) ;
– la liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3) ; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements […] [13].

Figure 2. Illustration des 4 libertés du logiciel libre. Poster conçu par le designer graphique Jérémy Landes-Nones pour la fonderie de caractères Velvetyne, 2016. Source : https://www.velvetyne.fr/about

Le logiciel libre est à distinguer de l’open source logiciel à code source ouvert »), expression forgée à la fin des années 1990 par le développeur informatique Eric Raymond, qui vise davantage l’idée d’une efficacité provenant de l’agrégation de compétences [14] que des valeurs liées au partage et à la liberté. Pour séparer ces deux termes, Stallman dit que « l’open source repose sur l’idée qu’en permettant aux utilisateurs de modifier et redistribuer le logiciel, celui-ci en sortira plus puissant et plus fiable », mais que rien ne garantit que ce dernier « respecte les libertés des utilisateurs [15] ». Toujours selon Stallman, « l’open source est une méthodologie de développement ; le logiciel libre est un mouvement social [16] ». Le terme de « libre » doit ainsi être séparé des notions de gratuité et d’ouverture pour mettre l’accent sur son aspect libérateur : non pas free égal gratuit, mais free comme une parole libre, comme une façon de limiter le contrôle par autrui [17].

Pour en revenir aux enjeux propres à la recherche scientifique, il faut donc garder en tête l’assertion de Stallman selon laquelle « le mot ‹ open › ne renvoie jamais à la liberté [18] ». Dans le champ de la recherche, on parle ainsi d’open access pour qualifier des publications lisibles sans barrière commerciale – contrairement aux revues ou ouvrages payants sous droits d’auteurs. Or cette idée d’un « accès ouvert » crée un flou conceptuel : ce n’est pas parce que l’on peut lire sans restriction quelque chose que l’on peut en faire autre chose : le modifier, le compléter ou le redistribuer. On retombe ainsi sur la confusion entre les notions de « gratuité » (renvoyant à des valeurs économiques) et de « liberté » (dans un sens moral, voire éthique) dénoncée par Stallman :

« Le terme ‹ open source › a été étendu à d’autres champs d’activités, tels que l’administration publique, l’éducation et la science, où la notion de code source n’a pas de sens, et où les critères des licences de logiciel ne sont tout simplement pas pertinents. La seule chose que ces activités ont en commun est qu’elles invitent toutes à leur manière la participation du public. Elles détournent ce terme pour lui donner la signification de ‹ participatif › ou ‹ transparent ›, ou encore moins, jusqu’à en faire une expression à la mode vide de sens. » [19]

Les critiques des chercheurs sur la mainmise des publications scientifiques par les éditeurs rejoignent donc la menace d’une privatisation des environnements techniques par les entreprises commerciales. Ces deux champs ont en commun le rejet d’une administration des relations humaines nuisible à l’exercice d’une liberté d’action. Nous proposons d’analyser les relations de cette culture (du) libre au monde de la recherche : les chercheurs peuvent-ils se passer de penser l’incursion de valeurs économiques dans les pratiques de recherche ? Il nous semble que la culture hacker pourrait être réinvestie dans l’optique d’une libération des connaissances, en permettant de penser sa recherche dans ses modalités pratiques. Seulement ce réinvestissement nécessite de considérer comme un véritable enjeu de recherche ce qui est souvent un point aveugle de la recherche : le design. Or le design, ce nœud entre l’observation des pratiques et leur réinvestissement dans la conception d’objets techniques, pourrait-il faire le lien entre la recherche scientifique et la culture du libre ?

Le premier moment de notre réflexion consistera à éclairer ce que nous entendons par « capitalisme » afin de montrer la manière dont ses logiques se sont insinuées dans le monde de la recherche – influant directement le travail des chercheurs, voire même sur leur carrière pour qu’ils soient reconnus comme tels. Nous verrons ensuite en quoi les changements structurels de ces vingt dernières années ont conduit les universités françaises à un problématique mélange des genres entre la recherche scientifique et les méthodes managériales du néolibéralisme. Pour finir, après avoir mis à jour ces logiques délétères, nous verrons en quoi l’association du design et de la culture libre offre des propositions de travail pour tendre vers une recherche libérée de la domination des enjeux capitalistes.

1. Aux origines du capitalisme

Alors que dans la pensée commune les pratiques de design (et par extension de design graphique) sont ontologiquement soumises à des logiques capitalistes, à savoir vendre davantage, l’histoire de ce champ fait plutôt état d’une tension entre art, industrie et économie [20]. Avant de préciser en quoi le design pourrait jouer un rôle dans une libération des connaissances, il importe d’analyser les origines historiques du capitalisme. Bien qu’ils n’aient pas directement théorisé le champ des publications, deux auteurs nous semblent essentiels pour comprendre le rapport de la situation contemporaine alliant recherche et capitalisme. Le premier est le philosophe allemand du XIXe siècle Karl Marx, qui va montrer dans une visée critique comment le capital devient une boucle d’auto-engendrement augmentant la dette des peuples. Le second est le philosophe anglais du XVIIIe siècle Adam Smith, qui analyse comment la dette constitue un moyen d’asservissement des populations.

1.1. Du capital à l’automatisation de la finance

Selon Karl Marx, le capital naît en Europe, entre le XVIe et le XIXe siècle et se caractérise par la notion de propriété privée des moyens de production. Ayant perdu la possession de leurs outils, la seule possibilité des travailleurs est de vendre leur force de travail sur des places de marché les mettant en concurrence. Cette exploitation d’un intermédiaire sans ajout de valeur définit pour Marx le capitalisme, à savoir la quête sans limites du profit. À le suivre, on peut ainsi douter que puisse exister un « bon » capitalisme. Initiées dans ses manuscrits de 1844 [21] et développées dans son essai Le Capital [22] de 1867, les analyses de Marx montrent que les capitalistes tirent leur profit de la marge (de la plus-value) entre ce que font les travailleurs et de la rémunération de leur travail : « L’argent qui engendre l’argent, telle est la définition du Capital ». On peut schématiser cette théorie sous la forme : M-A-MA-M-A, où « M » signifie marchandise et « A » signifie argent. En d’autres termes, dans le schéma classique « M-A-M », on achète une marchandise pour subvenir à un besoin. Le capital renverse cet ordre en « A-M-A » : il va de l’argent à la marchandise à l’argent [23]. La logique du capital consiste à faire revenir l’argent le plus vite possible, à accélérer ce cycle qui boucle la monnaie sur elle-même :

« [La] circulation de l’argent considéré comme capital est une fin en soi, puisque la valorisation de la valeur n’existe qu’au sein de ce mouvement sans cesse recommencé. Le mouvement du capital n’a donc ni fin ni mesure. […] Donc il ne faut jamais traiter la valeur d’usage comme but immédiat du capitaliste. Ni non plus son gain individuel ; mais seulement le mouvement sans trêve du gain, comme acte de gagner. » [24]

Une telle entreprise a des conséquences directes sur le rapport aux choses fabriquées par les êtres humains. Marx oppose la situation de biens réalisés pour subvenir à des besoins immédiats à leur transformation en « marchandises » par le capitalisme, qui produit des objets uniquement dans le but de les revendre à profit. La finalité de la chose ne réside plus dans sa valeur d’usage, mais dans sa « valeur d’échange ». Le capitalisme fait passer pour objectives et naturelles les relations sociales entre les travailleurs, désormais régies par celles des producteurs :

« Ce qu’il y a de mystérieux dans la forme-marchandise consiste donc simplement en ceci qu’elle renvoie aux hommes l’image des caractères sociaux de leur propre travail comme des caractères objectifs des produits du travail eux-mêmes, comme des qualités sociales que ces choses posséderaient par nature. » [25]

Ce caractère d’étrangeté de la chose-marchandise est qualifié par Marx de « fétiche [26] » : « C’est ce quiproquo qui fait que les produits du travail deviennent des marchandises, des choses sensibles suprasensibles, des choses sociales [27]. » Dans ses analyses, Marx détaille plusieurs exemples : mobilier, vêtement, nourriture, etc. Mais ces ancrages dans des situations de vente et de rente prennent une valeur de vestige au vu de la situation contemporaine. En effet, à l’époque de Marx, l’accélération des boucles de rendement était assez rudimentaire car limitée par la mobilité des marchandises tangibles. Or dans les années 1980 va se développer ce que nous pourrions appeler le capitalisme spéculatif, qui se caractérise en grande partie par la numérisation de la finance. Actée en 1971 par le président américain Richard Nixon, la fin des accords de Bretton Woods [28] (1944) a pour corollaire que le dollar cesse d’être indexé sur le métal-or. On assiste alors à une explosion de l’émission des dollars, dont la plupart ne sont pas imprimés sous forme de billets. L’économie spéculative ne repose plus seulement sur la vente de biens tangibles ou sur l’exploitation d’activités humaines (théories marxistes), mais principalement sur des valeurs intangibles associées à des mécanismes de croyance (« fiduciaires ») opérant à l’échelle planétaire. Cette mutation a été mise en scène d’une façon saisissante dans le long-métrage Le Loup de Wall Street réalisé par Martin Scorsese en 2013, qui dissèque la déconnexion entre l’économie des biens et des services et le cynisme d’un système boursier fonctionnant sur la production de fausses nouvelles pour duper les actionnaires (technique du « pump and dump »).

Figure 3. En perdant sa parité avec l’or la valeur du dollar ne repose plus que sur la confiance qu'ont ses utilisateurs envers l’économie qui la sous-tend. Ce graphique montre l’évolution de la valeur en dollars pour une once d’or. La fin des accords de Bretton Woods met fin à 175 ans de stabilité – la valeur du dollar adoptant désormais le régime de « changes flottants ». Cette date marque le début des déréglements financiers, jusqu’à la crise des subprimes de 2008. Source : Guillaume Helleu, « Vires in numeris. Bloc, bloc, qui voilà ? », conférence donnée à l’occasion du cycle de rencontres « New Kids on the Blockchain », dir. Marie Lechner, Anthony Masure et Clémence Seurat, Paris, Gaité Lyrique, novembre 2018, [En ligne], http://blockchainkids.xyz

Cet écart entre l’économie dite « réelle » (dont a vu qu’elle était déjà problématique) et la spéculation boursière va par la suite prendre un autre tournant. Alors que dans le film de Scorsese les courtiers étaient encore des êtres humains (de la force de travail), l’informatisation de la finance provoque une mutation qui va engendrer leur éviction des places de marché. Initiée dès la fin du XIXe siècle, l’électrification des échanges boursiers (téléphone, télégraphe. etc.) est supplée au début des années 1970 par l’informatisation des places de marché, qui correspond historiquement aux débuts de l’informatique dite personnelle. Si la finance a toujours été numérisée (affaire de nombres), son automatisation sous forme d’instructions (ordres) la fait changer d’échelle, et donc de nature. Ce n’est plus le temps humain qui régit le déroulé des transactions boursières, mais des programmes informatiques plus ou moins autonomes.

Écrit du point de vue d’un algorithme, le glaçant essai 6/5 [29] d’Alexandre Laumonier (2014) relate ainsi l’histoire et les conséquences du théâtre des opérations qui se joue désormais dans des serveurs informatiques et dans les fibres des câbles sous-marins reliant les centres d’affaires internationaux. Développé au début des années 2000 et aujourd’hui dominant, le « trading à haute fréquence » (HFT, de l’anglais high-frequency trading) consiste à confier à des algorithmes l’exécution d’opérations échappant totalement au temps humain, de l’ordre de la milliseconde, afin de spéculer à la hausse ou à la baisse sur ces micro-boucles. Ces algorithmes s’influencent les uns les autres, ce qui provoque des effets de bord incontrôlables et désastreux. En plus d’être une catastrophe sur le plan écologique, ces pratiques engendrent des phénomènes délétères comme les « flash krachs », où la valeur d’un titre peut flamber ou s’effondrer en quelques secondes [30]. Malgré cela, en 2005, 85% des principales bourses mondiales étaient devenues électroniques, sans lieu d’échange physique. Après avoir assuré en 2009 près de 70% du volume des places boursières américaines, le trading à haute fréquence a baissé d’intensité mais représentait encore, en 2012, plus de la moitié des échanges outre-Atlantique.

Figure 4. « Knightmare à Wall Street. le 1er août 2012, la firme Knight Capital vit un véritable cauchemar technique au cours duquel ce courtier […] perdit 461 millions de dollars en 40 minutes […]. Le bug provenait d’un algortihme de routage de la firme, qui engendra un volume de transactions très élevé au NYSE. » Source : Alexandre Laumonier, 6/5, Bruxelles, Zones Sensibles, 2014.

1.2. L’asservissement des populations par la dette

Le trading haute fréquence n’est qu’une des strates de l’informatisation de la finance, dont la voracité sans limite engendra la « crise » des subprimes de 2007 et les faillites bancaires de 2008. En apparence exogènes au champ de la recherche, ces évènements ont pourtant des conséquences très concrètes pour les chercheurs, à qui l’on sape année après année des moyens sous couvert de raisons budgétaires. La situation contemporaine est marquée par l’absurdité du vocabulaire de la « dette », où les citoyens sont sommés de contribuer à son remboursement. Or cette tâche est impossible. En effet, la dette mondiale n’est pas remboursable puisqu’elle dépasse l’ensemble des capitaux humains : alors que la dette mondiale a atteint un niveau record de 233 trillions (233 000 milliards) de dollars au troisième trimestre de 2017, cela représente, une fois rapporté à l’échelle des 7,6 milliards d’habitants de la planète, plus de 30 000 dollars par individu [31]. Le design d’information peut aider à comprendre cette incongruité. Le site Web The Money Project [32] propose ainsi un schéma comparatif des différentes valeurs financières à échelle mondiale : métaux précieux, crypto-actifs, capitalisation des GAFAM [33], fortune des les cinquantes personnes les plus riches, État de Californie, réserve fédérale américaine, stock market (marchés boursiers), devises tangibles, etc. Toujours dans ce schéma, le bloc de la dette mondiale, de par sa taille, montre clairement que ce dernier n’est pas remboursable – et ce d’autant plus qu’il a augmenté d’un tiers ces dix dernières années. On constate également que les derivatives [34] produits dérivés »), en grande partie responsables des krachs boursiers, « pèsent » bien davantage que l’ensemble des bourses mondiales ou que l’ensemble des devises tangibles ou intangibles (on estime qu’en France moins de 8% de la monnaie est accessible sous forme physique).

Figure 5.1. « Seule 8% de la masse monétaire M1 dite ‹ accessible › existe sous forme physique. Source : Guillaume Helleu, op. cit., graphique établi à partir des données du site Web The Money Project.
Figure 5.2. Ces mêmes 8% ‹ physiques › ne représentent en réalité qu'une infime partie de toute l’argent du monde, soit environ 0.4%. Source : ibid.

Ce constat comparatif traduit bien l’absurdité du monde financiarisé dans lequel nous sommes plongés et sur lequel repose le quotidien de chacun. Aboutissement du capitalisme spéculatif, l’économie de la dette a pour fondement que les « vrais » riches ne sont pas (seulement) ceux qui détiennent de l’argent, puisqu’il n’existe qu’en quantités limitées, mais sont (surtout) ceux qui détiennent des ordres de dettes, extensibles à l’infini. Ces personnes acquièrent ainsi un formidable outil de contrôle social sur les endettés. C’est ce qu’explique le sociologue Maurizio Lazzarato dans son essai La fabrique de l’homme endetté. Essai sur la condition néolibérale (2011) :

« La dette n’est donc pas un handicap pour la croissance ; elle constitue au contraire le moteur économique et subjectif de l’économie contemporaine. La fabrication des dettes, c’est-à-dire la construction et le développement du rapport de pouvoir entre créanciers et débiteurs, a été pensée et programmée comme le cœur stratégique des politiques néolibérales. » [35]

L’analyse de Lazzarato montre qu’il n’y a pas de sens à imposer des politiques normatives basées sur le remboursement (fictif) des dettes contractées par les États-nations. La dette n’est qu’une façon de contrôler les populations, d’une manière violente, en jouant sur les sentiments de peur et de culpabilité. Cet fantasme anglo-saxon d’un contrôle des populations n’est pas une chose nouvelle ; il a été conceptualisé au XVIIIe siècle par le philosophe britannique Adam Smith, soit presqu’un siècle avant Karl Marx. Dans son essai Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations de 1776, pour faire prospérer la société britannique, Smith proposait au gouvernement un déplacement de la guerre du champ de bataille au champ économique. Smith fondait ainsi le libéralisme, dont le but était de proposer un système permettant à l’Angleterre de mettre les autres pays dans une dette économique afin de les dominer sans passer par un affrontement sur le terrain. L’Angleterre devait opérer une libération totale de l’économie lui permettant d’augmenter ses richesses, et par là même d’imposer une concurrence déloyale aux autres pays afin de les mettre dans l’obligation d’emprunter aux banques anglaises, et donc de s’endetter et de se soumettre. Smith conceptualisa cette idée via l’image de la « main invisible », censée incarner la concordance des désirs individuels et collectifs d’une nation. D’après lui, une personne cherchant à s’enrichir va nécessairement participer à l’enrichissement de la nation, et ainsi participer au désir collectif : laisser la totale liberté à un citoyen britannique de s’enrichir enrichira mécaniquement l’Angleterre toute entière. Bien que cette théorie ait depuis longtemps montré son inefficacité, elle persiste dans l’imaginaire contemporain sous la métaphore macroniste du ruissellement des « premiers de cordée [36] ».

1.3. Du libéralisme au néolibéralisme

Dans son analyse des fondements du libéralisme, le sociologue Laurent Jeanpierre propose de marquer un écart avec ce qui fait la spécificité du néolibéralisme. En s’appuyant sur les cours donnés par la philosophe Michel Foucault au Collège de France en 1978-1979, Laurent Jeanpierre montre que la société « néolibérale », la nôtre, n’a rien de la masse uniformisante fantasmée par les détracteurs du libéralisme. Le caractère interchangeable de la marchandise et des individus de la critique marxiste de la bureaucratie a laissé place à la « programmation » des gouvernements capitalistes, basée sur la multiplicité et la différenciation des entreprises. Cette logique de la concurrence envisage « l’activité de consommation comme une activité de production, comme une production de satisfaction [37] ». Dans leur entreprise de mise à nu des méthodes néolibérales dans le champ de la recherche scientifique, les chercheurs du groupe Jean-Pierre Vernant (fondé en 2014, du nom de l’anthropologue éponyme) montrent comment celles-ci vont affecter non seulement les choses fabriquées, mais aussi, et de façon plus décisive, l’ensemble des institutions du corps social (service public, institutions politiques, universités, etc.) :

« Le marché n’a rien de spontané et seule la concurrence est à même de garantir la rationalité économique. L’essence du néolibéralisme, c’est donc la mise en concurrence des individus et des structures de sorte à créer du marché partout où cela est possible, dans chaque recoin de la société qui portait de la vie. Mettre en concurrence pour créer du marché, cela suppose incidemment de détruire méthodiquement toute structure collective, toute coopération entre les individus, au nom d’un rejet viscéral de toute planification raisonnée […]. » [38]

Les individus sont donc eux-aussi transformés en marchandises, leurs modes de relations étant détruits puis reconstruits. Il s’agit, par le contrôle, comme nous le verrons plus loin, de donner l’impression d’une liberté. Laurent Jeanpierre note ainsi que « le néolibéralisme a fait de la domestication mathématique puis informatique du hasard le ressort d’un pouvoir à distance sur les comportements et les subjectivités [39] ».

On peut donc en synthèse distinguer trois strates du capitalisme :
– le capitalisme industriel (1850–) comme concentration des moyens de production.
– le capitalisme financier (1980–) comme spéculation et domination des institutions financières.
– le capitalisme cognitif (2000–), comme captation de la production des connaissances [40].

Ce développement du capitalisme par couches signifie que ces trois domaines d’intervention ne se constituent pas l’un après l’autre, mais s’étendent sur différents plans. Le capitalisme financier, par exemple, ne signifie pas que l’exploitation des travailleurs a cessé, mais que s’ajoute à cela la domination des institutions financières.

1.4. La capitalisation du psychisme humain

Il nous reste donc à analyser la troisième strate, celle du capitalisme cognitif, qui nous emmène cette fois au plus près d’enjeux concernant la recherche. Le capitalisme cognitif ne consiste plus seulement à capter les moyens de production où à concentrer des actifs financiers, mais à s’accaparer les capacités psychiques de l’esprit humain et, dans un premier temps, la production des connaissances. Le concept de capitalisme cognitif a été développé au milieu des années 2000 par l’économiste et sociologue français Yann Moulier-Boutang :

« Ce qui caractérise donc le capitalisme cognitif, ce n’est donc pas qu’il repose sur les connaissances et encore moins sur le secteur limité qui produit des connaissances (les départements R&D des grandes entreprises ou les investissements en machines employées dans ce secteur). Il conquiert ses titres de noblesse et son rang dans la prospection, dans la valorisation et dans l’exploitation des éléments des connaissances qui résistent à la codification numérique […]. Nous avons nommé cette particularité l’exploitation de la force inventive du travail vivant. » [41]

La logique sous-jacente est simple : la terre étant finie, la croissance est limitée par la matière (métaux, etc.). L’idée est donc d’assigner une valeur économique aux capacités psychiques (attention, émotions, etc.). Si le marketing (ce dévoiement des théories psychanalytiques [42]) s’en était préoccupé depuis le début du XXe siècle, c’était davantage sous l’ordre de la manipulation que de l’exploitation de l’esprit humain. Le capitalisme cognitif ambitionne d’annexer la seule voie de sortie que proposait Marx, puisqu’il opposait la « valeur-travail » au savoir, ce dernier devant permettre de renverser le capital par la révolution. Là où Platon ou Hannah Arendt pensaient le savoir comme une activité libre et émancipatrice, le capitalisme cognitif va au contraire lui assigner une valeur. Toutes les activités humaines vont pouvoir être régies sous l’angle du travail productif : penser va être assimilable à un rendement. Moulier-Boutang montre ainsi que les procédés du capitalisme cognitif ont déjà investi des domaines qui devraient a priori lui être exogènes, tels que le monde de l’art [43]. Grâce aux fondations d’entreprise, par exemple, le capitalisme se saisit du monde de l’art et exploite les possibilités de lui assigner des valeurs économiques (prestige symbolique, défiscalisation, etc.). On retrouve ici les analyses de Laurent Jeanpierre comprenant le néolibéralisme comme l’expression de la « multiplicité et [de] la différenciation des entreprises [44] », ou encore celles des sociologues Luc Boltanski et Ève Chiapello [45] sur la fin de la « critique artiste » comme modalité de résistance au capitalisme.

L’expression d’idées et la connaissance deviennent alors des « biens » auxquels on va pouvoir attribuer des valeurs économiques. Un exemple frappant concerne la commercialisation de données numériques à caractère personnel. L’application de rencontres homophiles Grindr a ainsi été accusée en 2018 de partager avec des sociétés tierces des informations concernant le statut VIH de ses utilisateurs [46]. Dans cette logique, si l’on pense qu’il n’est pas souhaitable d’exploiter commercialement des informations personnelles relatives à la santé ou des savoirs sur soi, pourquoi en irait-il autrement d’informations, d’idées ou de connaissances ? Il s’agira donc, dans la suite de l’article, d’analyser les figures que prend le capitalisme dans la recherche et les conséquences de la marchandisation du savoir dans le champ universitaire. Le travail du chercheur doit-il devenir une valeur marchande contrôlable par les marchés ? Quelles en seraient alors les conséquences ? Est-ce un risque, où est-ce déjà le cas ?

2. Écuries et incuries de la recherche : vers une startup-university

Nous allons à présent étudier les conséquences des différentes strates du capitalisme dans la situation actuelle, en France, de la recherche scientifique. Notre contexte d’analyse s’ancre dans la numérisation du monde, le développement des réseaux de communication depuis le début des années 1990 (Web), la financiarisation de l’économie, la fin de l’emploi (contrats précaires, digital labor, etc.), et l’idéal de l’individu comme maître de son destin, indépendant et « auto-entreprenant ». Au niveau structurel, l’instance AERES (2006) et la loi LRU (2007) entérinent l’idée d’une « autonomie » des universités. Pour autant, les restrictions budgétaires et les injonctions d’un « capitalisme bureaucratique [47] » (David Graeber) montrent que la notion d’autonomie est à comprendre sous un angle économique, et non pas psychique. Ce sont ces entrechoquements de registres qu’il s’agit d’analyser en premier lieu.

2.1 La mise en concurrence des établissements de recherche

Acté par le processus de Bologne en 1999, le lissage des cursus académiques à l’échelle européenne (LMD pour Licence, Master, Doctorat) eu pour effet leur mise en concurrence à l’échelle internationale. C’est ce qu’incarne, par exemple, le « classement de Shanghai » des universités créé en 2003. Bien que ses méthodologies de calcul soient sujettes à controverses [48], ce dernier a pourtant eu des conséquences retentissantes sur l’organisation de la recherche (mise en place de grands campus type Paris-Saclay, etc.). En France, cette logique de « compétitivité » se concrétise notamment via la création en 2005 de l’instance ANR (Agence nationale de la recherche) :

« L’ANR finance la recherche sur projets. Sur un mode de sélection compétitive qui respecte les standards internationaux, elle s’attache à favoriser la créativité, le décloisonnement, les émergences et les partenariats. Depuis 2010, elle est aussi le principal opérateur des Investissements d’Avenir dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans ce cadre, elle assure la sélection, le financement et le suivi des projets. » [49]

Avec l’ANR, les lignes de recherche développées en interne au niveau des universités cèdent de plus en plus leur place à des « appel à projets » évalués de l’extérieur, ce qui entraîne une mise en concurrence des équipes de recherche au niveau national et international. En 2017, environ 90% des dossiers déposés déposés à l’ANR n’ont pas été retenus, ce chiffre étant en déclin chaque année. Ce système est chronophage (on estime que cela représente l’équivalent d’un temps plein de 1200 chercheurs, hors évaluateurs [50]) voire absurde (la plupart des dossiers étant évalués pour rien faute de crédits) : certains estiment ainsi qu’un tirage au sort donnerait des résultats scientifiques similaires [51]. De plus, ce mécanisme de sélection qui transforme les chercheurs en gestionnaires ou en agents administratifs [52] (ce que dénonçait déjà Norbert Wiener) emploie des critères de sélection défavorables aux sciences humaines et sociales, dont les périmètres d’application, d’innovation et de rentabilité sont difficiles à établir. Toujours sur le plan national, on notera également l’apparition de l’HCÉRES (2006) qui évalue tous les quatre ans les formations universitaires et les laboratoires de recherche. Les enseignants-chercheurs sont donc contraints de consacrer un temps non négligeable à la constitution de ces dossiers et à justifier leurs travaux avant même de pouvoir les faire, temps qui ne sera donc pas consacré à à la pédagogie ou à la recherche.

La déqualification du travail matériel au profit du développement du secteur tertiaire (des « services ») est allée de pair, sur un plan démographique, avec une massification des effectifs étudiants dans l’enseignement supérieur et une réduction [53] du personnel administratif et enseignant. Côté pédagogie, en raison des baisses budgétaires, les universités sont confrontées à un problème de remplissage des maquettes pédagogiques et doivent de plus en plus « bricoler » des contrats précaires, solutions de partenariats, etc. Cette situation de précarité ouvre la voie à des initiatives pédagogiques privées opérant au sein des universités. Au-delà des accointances entre l’Éducation nationale et Microsoft réactualisées en 2017 [54], des entreprises comme Google (Alphabet) investissent l’université en y opérant des modules de formation [55] (2018) pour le moment autonomes des cursus de licences et de masters. Dénoncé de façon virulente par l’enseignant-chercheur Olivier Ertzscheid [56], ce mélange des genres peut être compris comme une façon de préparer les esprits à l’idée qu’il n’existe pas d’alternative au capitalisme et de saper la capacité de résistance un temps attribuée à l’université. Cet affairement à combler les failles d’un temps libre nécessaire à toute recherche, en installant l’idée que tout soit rentable, ne peut conduire qu’à un affaiblissement des productions :

« L’industrie veut que nous devenions des machines à créer. Nous ne serons jamais assez nombreux à tomber pour satisfaire ses appétits. […] Ce système de sélection par le sentiment d’échec est destructeur : il mène à la copie sans imagination, à l’épuisement des ressources imaginaires, et à celui des artistes. » [57]

2.2 Le branding des établissements de recherche

Des expressions comme « management par projets » ou « classement des universités » s’inscrivent dans l’idée d’une mise en concurrence des chercheurs et des établissements, qui deviennent alors comparables à des écuries. Les pratiques des chercheurs doivent s’adapter en conséquence et privilégier des actions en conformité avec les critères de notation (types et langues de publication, etc.). Les cursus sont également concernés : injonctions à la « professionnalisation », « ouverture internationale », etc. – ce qui recoupe et prolonge les critiques énoncées par Norbert Wiener, Martin Heidegger ou Jacques Lacan dès le milieu des années 1950. L’« autonomie » souhaitée par les gouvernements a pour corollaire la transformation des universités en « marques » afin d’attirer le meilleur public possible sur un échiquier désormais mondial. Cette ère du branding (de brand, marquage à chaud des bestiaux) entraîne une confusion entre les secteurs autrefois séparés du public et du privé. Le designer graphique Ruedi Baur livre une critique acerbe de la « misère symbolique » des représentations des collectivités territoriales en se demandant s’il est vraiment souhaitable de traiter la communication des territoires de la même manière que des marques de chaussures ou de boissons : « La question qui nous occupe est donc de savoir si les modèles d’identification basés sur des entreprises commerciales peuvent correspondre aux besoins de lisibilité de nos espaces démocratiques [58]. » Ce marquage territorial n’est que le signe d’un processus plus large :

« De quoi faut-il le plus se préoccuper : de la profusion des signes médiocres qui infestent l’espace public, pénètrent jusqu’au plus intime des espaces privés […], ou de leur caractère chaque jour un peu plus injonctif ? Comment résister à l’invasion des signes de la marchandise dans toutes les sphères de la pensée et de l’activité de l’homme ? Comment empêcher qu’ils réduisent l’humanité à ses seules capacités économiques d’absorption ? » [59]

Figure 6.1. Extrait de l’ouvrage Face au brand territorial dirigé par Ruedi Baur et Sébastien Thiéry, ibid.
Figure 6.2. Extrait de l’ouvrage Face au brand territorial, ibid.
Figure 6.2. Extrait de l’ouvrage Face au brand territorial, ibid.

La transformation des villes en marchandises est la même que celle opérée par les établissements de recherche dans la « valorisation » de leur image. La communication visuelle des universités est en effet contaminée par les codes du marketing et les stratégies du corporate design : logotypes, produits dérivés, etc. Il s’agit donc, par opposition, de se demander comment rendre lisible et intelligible l’université – en tant que cette dernière est porteuse d’une autre vision du corps social. Cette question est au centre du projet de recherche-action « Identités complexes » qui a été mené en 2015-2016 à la Faculté des Arts de l’université de Strasbourg. Des chercheurs et designers ont réfléchi à ce que pouvait être une autre image de la recherche et ont proposé un système visuel [60] faisant apparaître un autre paradigme. Cette initiative a donné lieu à un colloque et à une publication-bilan [61], qui insiste sur l’importance de marquer un écart avec le secteur capitaliste :

« Si l’université est dans une perspective d’entreprendre, de mettre en œuvre, de mobiliser des ressources (conceptuelles, immatérielles, informationnelles, matérielles, humaines, financières) pour une fin, sa finalité portée par l’esprit humaniste diffère quant à elle fondamentalement de celle de l’esprit commercial de l’entreprenariat. […] L’université comme institution doit, à l’inverse [de l’entreprise], dépasser les limites et les frontières d’un monde et du savoir connus pour investir une terra incognita, où les limites de la connaissances sont imprécises et incertaines, ouvrant sur de potentielles découvertes ou déconvenues. Les deux perspectives divergentes – celle de l’entreprise commerciale et celle de l’université – ne sauraient converger vers une seule conception de la représentation, surtout si celle-ci se réduit à la marque et au marketing. » [62]

Figure 7.1. Extrait du « langage visuel » de l’université de Strasbourg, 2016 : « La police de caractères Unistra a été créée sur-mesure pour l’Université de Strasbourg par Christina Poth. À la fois identifiante et contemporaine, elle ancre les contenus de la vie pratique dans un contexte local et singulier. La police de caractères Brill est un caractère académique, sérieux et exhaustif permettant d’écrire les contenus relatifs au savoir. Libre de droits pour un usage non-commercial, elle permet le partage et la libre circulation du savoir. Le système d’identification repose sur l’articulation de deux types de contenus. Les contenus dits de la ‹ vie universitaire › s’écrivent en Unistra et ceux dits du ‹ savoir › en Brill. » Source : http://langagevisuel.unistra.fr
Figure 7.2. Extrait du « langage visuel » de l’université de Strasbourg, 2016 : « Contenus de la vie pratique et du savoir s’articulent continuellement à l’université. L’Unistra a donc été conçue sur la même hauteur de lettre que la police Brill, permettant une continuité visuelle entre les deux caractères pourtant très différents. » Source : Ibid.
Figure 7.3. Extrait du « langage visuel » de l’université de Strasbourg, 2016 : « Les pictogrammes sont intégrés à la police de caractères ‹ Unistra Symbol › permettant de saisir facilement, depuis le clavier, les pictogrammes sous les logiciels de bureautique. » Source : Ibid.

2.3 La contamination du vocabulaire managérial, le cas du #Bullshidex

Cette réflexion sur l’image des universités incarne bien le dramatique mélange des genres du registre entrepreneurial / managérial avec le monde de la recherche. Sur le plan du vocabulaire, la même confusion est à l’œuvre. Les logiques de la « start-up nation » – de la glorification des individus et de leur mise en concurrence – s’appliquent désormais aux établissements de recherche. Afin d’éviter cette marchandisation du savoir, nous soutenons qu’il est du devoir des chercheurs de s’emparer de ces enjeux afin de mettre au jour les présupposés politiques qui les sous-tendent. Le philosophe Jacques Rancière déplore ainsi la perfidie de termes volontairement glissants :

« La politique est fondée sur des signifiants qui, précisément, sont flottants et utilisés par les uns et les autres. […] La bataille sur les mots est aussi une bataille sur les choses elles-mêmes. ‹ Crise › désigne actuellement un concept de l’ennemi. C’est une manière de décrire l’état du monde qui permet aux gouvernants de se légitimer en tant que médecins de ces maux. ‹ Réforme › est, de même, une manière pour eux de justifier la privatisation généralisée en la présentant comme l’adaptation à une nécessité objective. Il y a toujours une bataille sur les mots, il y a des mots qu’il est utile de reprendre, et d’autres non. La politique, ce n’est pas un choix qu’on fait une fois qu’on a établi une description de la situation, c’est d’abord la bataille sur la manière de la décrire. » [63]

Cette lutte sur le langage a fait l’objet d’un projet de design à l’université Toulouse – Jean Jaurès. Cette dernière a été confrontée, en 2017, à une réforme Idex visant à fusionner des établissements toulousains relevant des sciences humaines, technologies, sports, santé, etc. (de tels groupements, aux modalités variables, sont déjà en place dans des villes comme Grenoble, Lyon ou Strasbourg). Un des problèmes majeurs était la mise en place d’« axes stratégiques » décidés par des acteurs industriels comme Airbus, qui devaient siéger au conseil d’administration de la même manière que les personnels titulaires. La lecture attentive du projet de réforme par les enseignants-chercheurs, personnels administratifs, syndicats, etc. fit apparaître, sous couvert de neutralité administrative, un champ lexical où se confondent les vocabulaires des start-up, des entreprises et de la recherche.

Initié dans un contexte de grève (semaine de « création-contestation [64] ») par les enseignants-chercheurs Anthony Masure et Pia Pandelakis, maîtres de conférence en design, un lexique collaboratif fut élaboré [65] en mars 2018. Intitulé #Bullshidex [66] (bullshit index), ce dictionnaire en ligne du bullshit (du baratin) propose une série d’entrées lexicales extraites du projet de réforme Idex – expressions qui se retrouvent dans bien d’autres contextes :

« accélérer, accroître, agile, ambition, amplifier, attractivité, autonomie, avenir, axe stratégique, benchmark, bibliométrie, business, capitaliser, catalogue, chercheur-enseignant, cible, classement, comité de pilotage, compétitivité, consortium, continuum, défi, développement durable, digital, disrupt campus, dynamique, émergence, excellence, évaluation, expertise, fédérer, financement, forces, indicateur de performance, gouvernance, grand, innovation, intégration, international, label, management, marque, mission, mobilité, modèle national, mutualisé, offre, passerelle, pépite-écrin, performance, pilotage, priorité, rayonnement, regroupement, robustesse, standards internationaux, stratégie, succès, transfert, transformation, transversalité, visibilité. » [67]

Pour élaborer ces notices critiques, une liste des termes clé a tout d’abord été constituée en faisant ressortir les renvois d’un mot à l’autre et en comptant leurs occurrences d’apparition dans le document de la réforme. Chaque entrée du lexique a ensuite fait l’objet d’un travail de rédaction collaborative suivant une méthode en trois temps : le repérage d’un extrait signifiant, la définition du mot prise dans un dictionnaire scientifique (CNRTL), et enfin la rédaction d’une synthèse / analyse critique. Élaborée à base de logiciels [68] et de polices de caractères libres de droits [69], la page Web du Bullshidex a été consultée par plus de 39 000 personnes depuis les médias sociaux [70] et a trouvé des résonances dans d’autres milieux tels que celui des hôpitaux, confronté à des enjeux similaires [71]. En partie à cause d’un manque d’adhésion du personnel, le projet Idex toulousain a reçu une évaluation négative (rédigée en anglais) fin mars 2018.

Figure 8.1. Page Web du #Bullshidex, design graphique par Anthony Masure, mars 2018. Source : https://ateliercreationcontestation.github.io/dico
Figure 8.2. #Bullshidex, générateur d’affiches imprimables utilisant les technologies du CSS Print, conception par Anthony Masure, mars 2018. Source : https://ateliercreationcontestation.github.io/affiches/affiches.html

Outre la constitution de communautés de réflexion tels que le Groupe Jean-Pierre Vernant [72] (février 2014 [73]), le collectif Sciences en marche [74] (juin 2014) ou l’observatoire RogueESR [75] (avril 2017), des initiatives parodiques (car vraisemblables) sont apparues récemment. Répondant au bullshit du vocabulaire néomanagérial par l’absurde, le compte Twitter @realUNIVFrance [76] (juillet 2017) indique ainsi comme description : « L’université disruptive pour innover en toute agilité ! ». Singeant les formulations de l’ANR, le site Web de l’ANES [77] Agence Nationale de l’Excellence Scientifique », avril 2016), interroge quant à lui le registre managérial posé comme seul horizon de la recherche [78].

Figure 9. ANES, « Plan d’action 2017 » : « Les 9 défis sociétiques visent à encourager des recherches thématiques pluri-, multi-, inter- ,trans-, intra-, infra-, exo-, para- ou proto-disciplinaires et désintégrantes autour de grandes questions sociétiques-et-tac. » Source : http://excellagence.fr/plan-daction-2017/
Figure 10. Bannière du compte Twitter @realUNIVFrance. Source : https://twitter.com/realunivfrance, consultée le 1er décembre 2018

Le vocabulaire néolibéral issu du champ managérial, à mesure qu’il se répand dans les champs de l’enseignement et de la recherche, affirme son hégémonie en se faisant passer pour un paradigme de neutralité et de normalité. Malgré la forte dimension politique de l’ancrage capitaliste, les zélotes de cette idéologie se posent au contraire comme apolitiques et essayent de discréditer les personnes émettant des arguments contraires comme « politisés ». Après avoir étudié comment cette confusion des genre opère tant au niveau structurel que sur la communication des universités, nous allons à présent voir comment celle-ci se met en place au niveau de l’activité principale des chercheurs, celle des publications.

3. Publish or perish, le dépérissement des publications de recherche

La marchandisation, caractéristique essentielle du mode de production capitaliste, atteint le monde de la connaissance et du savoir via le néolibéralisme, à savoir l’organisation rationnelle d’un marché concurrentiel. Dans les limbes du monde universitaire, une manière plus discrète permet d’entrelacer les logiques capitalistes au monde universitaire à travers l’évaluation de la recherche et des chercheurs selon des logiques étrangères aux disciplines de recherche. C’est la domination progressive du monde de la recherche par la privatisation des publications de recherche.

3.1 La privatisation des revues de recherche

Les grands groupes qui dominent la publication scientifique mondiale sont Elsevier et Springer. La page d’accueil du site de Springer ne laisse guère d’ambiguïté sur les priorités du groupe : « Notre métier [business], c’est l’édition. Avec plus de 2 900 revues et 290 000 livres, Springer offre de nombreuses opportunités pour les auteurs, les clients et les partenaires [79]. » Le cœur de leur activité est donc de publier en grandes quantités, d’industrialiser les pratiques de recherche, et non pas de contribuer à l’amélioration et la transmission des savoirs.

Les revues de ce type de groupe sont emblématiques d’une capitalisation des pratiques de recherche : les articles, pour lesquels les auteurs ne sont pas rémunérés, sont évalués et relus par des chercheurs eux-mêmes bénévoles. Le travail du publisher [80] consiste principalement à saisir les contenus et à assurer (quand ils le font) la communication des revues. Personne n’est payé, sauf le publisher qui se rémunère majoritairement via des abonnements coûtant de plus en plus cher aux bibliothèques universitaires. Ce procédé entraîne de nombreuses controverses [81] et des universités ont récemment résilié leurs souscriptions. Mais un autre point, peut-être plus pervers, mérite d’être analysé : il touche à la folie du copyright (droit d’auteur) qui bloque la transmission des savoirs. Alors que les chercheurs, comme nous l’avons vu, sont de plus en plus soumis à des évaluations, l’obtention de postes et l’avancement en grades se font principalement en fonctions du nombre et du type de publications. Dans cette injonction à la publication (« publish or perish »), tout n’a pas la même valeur puisque vont être privilégiées des revues listées par des instances propres à chaque disciplines. Or beaucoup de ces listes vont prioriser des revues privées ne favorisant pas la circulation des savoirs, ce qui fait que les chercheurs ne se reconnaissant pas dans ces logiques se voient contraints d’entrer dans ces processus, et donc de renforcer malgré eux la valeur de ces revues.

3.2 La prédation des savoirs, l’exemple des publications de psychologie

Pour montrer comment cette logique perverse opère, nous allons prendre le cas d’un coauteur de cet article, Alexandre Saint-Jevin, titulaire d’un doctorat et chercheur en psychologie. Pour espérer obtenir un poste en psychologie, ce dernier doit publier dans des revues relatives à ce domaine, mais pas n’importe lesquelles. La liste de référence en psychologie est celle de la section 16 du CNU, le Conseil National des Universités. Composée d’enseignants-chercheurs élus titulaires, cette instance délivre ce qu’on appelle la « qualification aux fonctions de maître de conférences ». Cette qualification permet seulement de postuler, et ne donne pas droit à un poste. Un des prérequis de la qualification en psychologie est d’avoir publié, pendant sa thèse ou les deux ans suivants la soutenance, au moins deux articles dans des revues à comité de lecture indexées dans les grandes base de données américaines (Psychinfo, Pubmed, etc.) [82].

Cette demande est problématique puisque toutes les revues de psychologie de ce type sont payantes et à accès privé. Ayant réussi à publier un article chez Elsevier, Alexandre Saint-Jevin n’est pas rémunéré pour cela, bien que son article soit vendu au prix de 30 euros. Il ne dispose pas non plus d’un accès libre à l’article mis en ligne par l’éditeur, qui peut différer légèrement de la version preprint. Pour passer l’article en licence libre creative commons, certains éditeurs (ACM, Taylor & Francis, etc.) demandent à l’auteur une somme forfaitaire allant de 1700€ à 2150€, ce qui dénote clairement un refus de faire circuler les connaissances. Pire encore, certains publishers utilisent les articles des chercheurs comme publicités pour d’autres publications. Par exemple, la revue Research in Psychoanalysis demande aux auteurs de citer au moins huit articles issus des mêmes bases de données que celles utilisées par la 16e section du CNU [83]. On peut légitimement s’interroger sur l’argument scientifique d’une telle requête, qui aura surtout comme intérêt de renforcer les pouvoirs des revues déjà en place vu qu’elle bénéficieront mécaniquement d’un grand nombre de citations entrantes. De façon perverse, de telles demandes poussent les chercheurs à citer artificiellement des sources et excluent des modes d’écriture divergents : cela crée un effet d’homogénéisation de la recherche où vont être pris en compte des facteurs normatifs et non pas intellectuels. On en arrive à une situation perfide où ces publishers privatifs, de par leur influence, se mettent à vendre des formations professionnelles aux chercheurs souhaitant améliorer leur carrière [84].

3.3 Les problèmes de citation des documents audiovisuels

En plus de la mainmise des publishers sur les pratiques de recherche, la citation de documents audiovisuels (images, sons, vidéos, etc.) dans des articles scientifiques pose de nombreux problèmes. En effet, le droit français n’autorise actuellement un droit de citation que pour les textes. Un exemple frappant des conséquences de cette restriction est le site Persee.fr, qui agrège différentes revues. Les archives en ligne de la prestigieuse Revue de l’Art (1988-1999) présentent une expérience de lecture troublante, puisque les articles ont été « amputés » de toutes les images pour éviter d’avoir des problèmes de droits de reproductions. Seuls subsistent des cadres vides, ce qui pose problème scientifiquement pour une revue d’histoire de l’art. Cette situation juridique a été dénoncée par des chercheurs comme l’historien de la photographie André Gunthert, qui note que :

« Réduit par les usages à l’état de marchandise, quand bien même il devrait dépendre du domaine public, [le patrimoine visuel] est aujourd’hui exclu des voies où se construit le bien commun de l’humanité. » [85]

Figure 11. « Édition en ligne de la Revue de l’art sur Persée, no 112, 1996, p. 60. Alors que la consultation de la revue est gratuite, les illustrations de cette page, qui relèvent du domaine public, n’ont pas été publiées pour respecter l’usage commercial. » Source : André Gunthert, « Le droit aux images à l’ère de la publication électronique », Paris, EHESS, Actualités de la Recherche en histoire visuelle, janvier 2017, [En ligne], http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2007/01/17/272-le-droit-aux-images-a-l-ere-de-la-publication-electronique

Pire encore, Gunthert a dû renoncer à reproduire dans un de ses articles des photographies de l’artiste Nan Goldin en raison de problèmes de droits d’auteurs [86]. L’article de Gunthert contenant des propos critiques, les représentants légaux de l’artiste n’ont pas donné leur autorisation : ce « copyright madness [87] » pose donc un vrai problème d’intégrité scientifique. Malgré des plaidoyers comme ceux du chercheur Lionel Maurel [88] en faveur d’une évolution juridique, nous n’avons toujours pas en France d’équivalent au fair use (usage équitable) américain, qui permet une latitude dans les pratiques.

3.4 La culture libre comme résistance au copyright madness

Pour résister à cette privatisation du savoir néfaste aux pratiques de recherche, des modes d’action peuvent être trouvés du côté de la culture hacker, c’est-à-dire de la culture (du) libre. Prenant comme point de départ la résistance à la privatisation des codes sources des logiciels informatiques à la fin des années 1960, la culture libre est progressivement devenue, dans le sillage des initiatives de l’informaticien Richard Stallman, un mouvement social promouvant la liberté de consulter, de modifier et de (re)distribuer les œuvres de l’esprit. Ses acteurs partagent des valeurs telles que la liberté d’expression, l’accès libre à l’information et le respect de la vie privée.

Face au poids des droits d’auteurs, des « libristes » ont développé des licences autorisant par défaut des droits d’usages élargis. Un des acteurs les plus connus de ce mouvement est le juriste Lawrence Lessig. Rédigé en 2000, son article prophétique « Code is law [89] » montrait en quoi les réseaux informatiques de communication pouvaient représenter, si l’on n’y prend pas garde, une menace pour les libertés individuelles. Dans cette visée, Lessig fonde en 2001 l’association à but non lucratif Creative Commons [90] (CC), qui propose une alternative aux restrictions des droits d’auteurs qui soit modulaire et simple à comprendre. Cette invention aura de grandes répercussions dans le milieu de la recherche, de plus en plus de productions utilisant ces licences. Publié en 2004, son essai Free Culture. How Big Media Uses Technology and the Law to Lock Down Culture and Control Creativity [91] est devenu un manifeste en faveur d’une libération des capacités d’invention des êtres humains :

« Une culture libre protège et soutient les créateurs et les innovateurs. Elle le fait d’une manière directe, en accordant des droits de propriété intellectuelle. Mais elle le fait aussi indirectement, en limitant la portée de ces droits, pour garantir que les nouveaux créateurs restent aussi libres que possible d’un contrôle du passé. Une culture libre n’est pas une culture sans aucune propriété, pas plus qu’un marché libre n’est un marché dans lequel tout est gratuit. Le contraire d’une culture libre est une ‹ culture de permissions  : une culture au sein de laquelle les créateurs peuvent créer uniquement avec la permission des puissants, ou des créateurs du passé. » [92]

Figure 12. Tableau de synthèse des licences creative commons. Source : Frédérique Bordignon, mars 2015, [En ligne], https://carnetist.hypotheses.org/76

Pour garantir la capacité des êtres humains à pouvoir faire œuvre de culture, c’est-à-dire à toujours pouvoir modifier leurs environnements de vie, certains militants de la culture libre ont dû commettre des actes illégaux. Un des plus connus d’entre eux est l’informaticien et hacktiviste américain Aaron Swartz (1986-2013). À la suite d’une rencontre à l’âge de treize ans avec Lawrence Lessig, Swartz décide de s’impliquer pour la défense d’un savoir libre et accessible à tous. Tandis que les néolibéraux voient le progrès dans la mise en concurrence des activités humaine, Aaron Swartz a pour idole Tim Berners-Lee, l’un des principaux artisans du World Wide Web, qui a choisi de laisser ses inventions libres et gratuites pour qu’elles puissent bénéficier à tous [93]. Traduits en français dans le recueil Celui qui pourrait changer le monde [94], les écrits du blog d’Aaron Swartz dessinent la trajectoire politique d’un citoyen pour qui « être libre et agir ne font qu’un [95] » (Hannah Arendt) : la crise de la culture soumise à des pressions capitalistes peut être surmontée par l’action individuelle et collective.

Dans les faits, Swartz participe à l’élaboration de la spécification RSS [96] (une technologie permettant d’accéder de façon non filtrée à des flux de données Web), s’investit dans la gouvernance du site Web contributif Wikipedia (fondé en 2001), et contribue au développement des licences creative commons (alternative aux licences du droits d’auteur standard), etc.). Profitant d’un accès illimité via le MIT à la base d’articles scientifiques JSTOR, Swartz télécharge en 2011 l’intégralité de l’archive dans l’optique de les libérer de leur privatisation. Accusé par un procureur américain de violation de droits d’auteurs, il se suicide en 2013, un mois avant un procès où il risquait 35 ans d’emprisonnement et une amende de 1 million de dollars. Devenu rétrospectivement une figure de la culture libre, Aaron Swartz trouve aujourd’hui des prolongements dont des initiatives comme Sci-Hub, un portail indexant les articles scientifiques disponibles derrière des accès payants (paywalls). Sa créatrice, l’étudiante kazakhe Alexandra Elbakyan, a été condamnée en 2017 à payer une amende de 15 millions de dollars [97].

Figure 13. Capture d’écran du site Web Sci-Hub conçu par Alexandra Elbakyan, 2011

À l’échelle mondiale, cinq éditeurs se partagent la moitié de l’ensemble des publications scientifiques [98]. Entretenue au niveau structurel par les chercheurs qui perpétuent ce modèle par ignorance ou pour des raisons carriéristes, cette rente économique menace directement la possibilité d’une recherche soutenable, détachée d’une rentabilité immédiate [99]. Il semble donc que les « poubellications » de recherche, telles que les appelait Jacques Lacan [100], soient désormais le quotidien des chercheurs. En France, la situation des droits d’auteurs sur les articles a néanmoins évolué positivement avec la « Loi pour une République numérique » (2016), qui autorise les chercheurs financés au moins pour moitié sur fonds publics à déposer dans une archive en ligne leurs articles, dans un délai de 6 à 12 mois après publication [101]. Dans une démarche d’open access, d’autres personnes les lire gratuitement. Pour autant, ces articles ne peuvent pas automatiquement être placés sous licence libre et donc être enrichis, republiés, etc.

4. Libérer la recherche : six propositions

En tant que chercheurs, cet état des lieux synthétique nous laisse dans une situation où il est moralement compliqué de ne rien faire. En opérant des prises de conscience par des actions publiques ou en développant des systèmes de publications libres de droits, des informaticiens et chercheurs laissent entrevoir un autre monde pour la recherche. Alexandra Elbakyan (Sci-Hub) a beaucoup été influencée par la conceptualisation des « normes [102] » de Robert K. Merton, le fondateur de la sociologie des sciences :

« Les normes sont exprimées sous forme de prescriptions, d’interdictions, de préférences et de permissions. Elles sont légitimées en termes de valeurs institutionnelles. Ces impératifs, transmis par préceptes et exemples et renforcés par des sanctions sont, à des degrés divers, intériorisés par le scientifique, façonnant ainsi sa conscience scientifique ou, si l’on préfère cette expression de son surmoi [super-ego]… [Cette éthique scientifique] peut être déduite du consensus moral des scientifiques tel qu’il s’exprime dans l’usage et l’habitude, dans d’innombrables écrits sur l’esprit scientifique et dans l’indignation morale à l’égard des contraventions à l’éthique. » [103]

Selon Merton, les « impératifs » des institutions de recherche devraient être l’universalisme, le désintéressement, le scepticisme, et le communisme. Merton plaidait ainsi pour la mise en place d’un « communisme scientifique », arguant que :

« Le communisme de l’éthique scientifique est incompatible avec la définition de la technologie comme ‹ propriété privée › dans une économie capitaliste. Les écrits actuels sur la ‹ frustration de la science › reflètent ce conflit. Les brevets proclament des droits exclusifs d’utilisation et, souvent, de non-utilisation. La suppression de l’invention nie la raison d’être de la production et de la diffusion scientifiques. » [104]

Les analyses de Merton nous montrent d’une part que la normativité scientifique, si elle n’est pas documentée et analysée, menace directement les pratiques de recherche. D’autre part, en associant des modèles politiques aux institutions de recherche, Merton révèle que ces dernières ne sont jamais neutres politiquement, y compris – et surtout – quand elles refusent à se réclamer d’un courant politique. En effet, dans sa quête rationnelle du profit, le capitalisme n’aura peut-être eu pour seul but que de se présenter de façon neutre et objective afin de mieux couvrir les objectifs politiques le sous-tendant. En ce sens, présenter tout ce qui s’oppose au capitalisme comme « politique » n’est qu’un stratagème pour neutraliser les débats en lui déniant tout caractère politique.

Face à ces défis, nous pensons que la prise en compte des relations entre la recherche scientifique, la culture libre et le design (graphique, d’interactions, etc.) peut ouvrir des directions de travail positives, à même de faire face aux enjeux de la marchandisation des savoirs.

4.1 Faire preuve de cohérence entre ses convictions et ses actes

Notre première proposition consiste à exhorter les chercheurs, étudiants, artistes ou designers qui reconnaissent le caractère problématique du capitalisme de la recherche à faire preuve, autant qu’ils le peuvent, de cohérence entre leurs engagements politiques et les politiques de publication. Il n’est pas tenable de regretter la situation actuelle, et dans le même temps de contribuer à des revues ou ouvrages privatifs. Même si dans certains cas, comme nous l’avons vu, les chercheurs sont contraints à contribuer à ce type de publication, nous pouvons souligner le paradoxe consistant à parler de culture libre tout en faisant payer les personnes pour lire ses articles.

Cette contradiction entre un propos et un modèle économique est justement ce qu’apprécie le capitalisme, comme l’ont montré des philosophes comme Herbert Marcuse [105] ou Theodor Adorno. Selon Adorno, le capitalisme est une totalité extensive [106], qui tend à englober tous les mouvements anticapitalistes. Adorno donne l’exemple de la vente de disques de musique punk pour montrer que le capitalisme crée les conditions préalables à des libertés insoupçonnées dans d’autres modèles de société [107]. Cette apparence de liberté est bien différente de l’émancipation recherchée par la culture libre : Adorno parle ainsi d’une « société administrée » à savoir « la haine féroce pour tout ce qui est différent [108] ». Rédigées au milieu du XXe siècle, ces analyses sur l’uniformité sociale mériteraient toutefois d’être relues au regard du prisme néolibéral de la productions de sujets « différents [109] » et mis en concurrence.

4.2 Publier sous licence libre et, à défaut, donner accès à ses travaux

La deuxième proposition découle de la première et consiste, en tant que chercheur, à privilégier la culture libre. Dans une logique d’open access, il s’agit tout d’abord de s’assurer que n’importe qui peut accéder gratuitement aux travaux que l’on produit, fût-ce moyennant un délai d’embargo [110]. Cela passe, dans la mesure du possible, par choisir les revues où publier, de négocier des accès ouverts avec les éditeurs, de créer si besoin des revues plus soutenables, etc. Comme nous l’avons montré en introduction via l’histoire du logiciel libre, l’open access ne doit pas être confondu avec le libre et ses valeurs morales. À terme, il faut donc que les chercheurs visent les libertés établies par Richard Stallman, à savoir, si on les reformule dans le champ des écrits scientifiques : consulter (open access), mais aussi redistribuer, modifier, et redistribuer les versions modifiées. Si l’on comprend la culture comme ce qui est toujours susceptible de pousser, de repousser et de bifurquer, il faut donc que celle-ci soit vivante, vive pour nous comme pour les autres. Entretenir cette liberté passe donc, entre autres, par le fait de favoriser la citation et la réutilisation de ses productions en indiquant clairement, dans ses productions, les licences sous lesquelles celles-ci sont distribuées. Le panel disponible (licences creative commons, licence Art Libre [111], licence Édition équitable [112], etc.) permet, suivant les circonstances, une granularité intéressante sur les usages possibles (commerciaux ou non, etc.). La multiplication de revues de recherche « imposant » aux auteurs de publier sous licence libre va dans ce sens et mériterait d’être encouragée dans les recrutements et cursus universitaires.

4.3 Réutiliser des productions libres de droits

Notre troisième proposition consiste à recourir à des travaux sous licences libres pour envisager d’autres types de publications. Il en est ainsi, par exemple, du singulier ouvrage Pages Publiques [113] (2012) qui, bien que commercialisé, est uniquement composé de textes issus du domaine public et de commentaire de ces textes qui sont eux-mêmes directement placés dans le domaine public. Dans un registre similaire, le journal Code X [114] (2017) conçu par la designeuse graphique Julie Blanc, en plus d’être constitué de textes libres de droit (qui ne nécessitent donc pas d’autorisation préalable de la part de l’éditeur), a été maquetté via des logiciels libres de droit – en l’occurrence dans un navigateur Web via les technologies du CSS to Print.

Figure 14.1. « Le premier numéro du journal Code X a été publié à l’occasion du salon de l’édition PrePostPrint du 20-21 octobre 2017 à la Gaîté Lyrique, Paris. Il a été entièrement conçu en HTML et CSS depuis un navigateur Web. ». Source : Julie Blanc, [En ligne], http://julie-blanc.fr/projets/code-x.html
Figure 14.2. Julie Blanc, conception du journal Code X, ibid.

D’autres exemple, tels que les living books [115], s’appuient non seulement sur des textes mais aussi sur des documents audiovisuels libres de droits.

Figure 15. « Les Living Books about History sont une nouvelle forme d’anthologies digitales. Ils présentent des essais courts sur des sujets de recherche actuels, complétés par une sélection raisonnée de contributions librement accessibles en ligne. ». Source : https://www.livingbooksabouthistory.ch

Mentionnons également des essais dont les textes sont directement placés sous licence libre afin d’en permettre la réutilisation. Placé sous licence CC BY-NC-SA, l’ouvrage collectif 10 PRINT CHR$(205.5+RND(1)) ; : GOTO 10 [116] (2013) prend comme point de départ une ligne de l’emblématique programme informatique Commodore 64 BASIC. Il y a ainsi une cohérence entre le propos éditorial du livre et la licence sous laquelle il est proposé au lecteur.

Figure 16. Double page de l’ouvrage collectif 10 PRINT, ibid., 2013. Source : Casey Reas, FlickR, [En ligne], https://www.flickr.com/photos/_reas/albums/72157632128942758

4.4 Transposer les méthodologies du logiciel libre dans les pratiques de recherche

La quatrième proposition consiste à appuyer les pratiques de recherche universitaires sur les méthodologies informatiques du logiciel libre, à savoir travailler ses articles de recherche suivant des procédés de collaboration, documentation et versionnage (versionning). Versionner consiste à créer des versions temporellement archivées de son travail (protocole Git, etc.) pour pouvoir remonter dans le processus de conception en accédant à ces différentes strates. Chaque étape de travail (commit) pouvant être documentée, cela permet à n’importe qui de pouvoir se saisir d’une version pour la dupliquer (forker), si la licence l’y autorise, afin de proposer d’autres versions (forks). Nous pouvons citer comme exemple le mémoire de VAE de Antoine Fauchié à l’Enssib Villeurbanne [117] (2018), entièrement rédigé suivant des méthodologies issues du développement informatique et placé en ligne dans un dépôt GitLab.

Figure 17. Capture d’écran du dépôt GitLab du mémoire d’Antoine Fauchié sur les chaînes de publication. Vers un système modulaire de publication. Éditer avec le numérique, mémoire de VAE du Master 2 Publication numérique sous la direction d’Anthony Masure et Marcello Vitali-Rosati, Villeurbanne, Enssib, 2017. Source : https://gitlab.com/antoinentl/systeme-modulaire-de-publication

4.5 Utiliser et contribuer aux logiciels libres

La cinquième proposition consiste à montrer que les méthodologies issues des logiciels libres ne sont pas réservées qu’aux personnes initiées aux logiques du code informatique. La démarche du collectif L’atelier des chercheurs [118] (Louis Eveillard, Sarah Garcin et Pauline Gourlet), qui a pour objectif la « création d’outils libres et modulaires pour transformer les manières d’apprendre et de travailler », démontre qu’il existe de multiples façons d’utiliser et de contribuer aux logiciels libres. Leurs projets permettent de documenter très facilement des démarches ou évènements, qu’ils soient ou non en rapport avec des pratiques de recherche. Parmi leurs réalisations, citons ainsi Les Cahiers du Studio, « un outil collaboratif de documentation chronologique pour une prise de notes multimédia lors d’une activité ou d’un événement » ou encore do•doc, « un outil composite, libre et modulaire, qui permet de capturer des médias (photos, vidéos, sons et stop-motion), de les éditer, de les mettre en page et de les publier ». Testées et améliorées suite à des retours d’expérience dans des contextes variés (écoles primaires, institutions culturelles, etc.), ces initiatives montrent qu’il est possible, pour les logiciels libres, de sortir du paradigme de l’imitation d’environnements propriétaires. N’importe qui peut contribuer à ces projets, sans passer par du code, en faisant remonter des bugs (erreurs de fonctionnement) ou des propositions d’amélioration sur la plateforme GitHub où est hébergé le code source de ces programmes.

Figure 18. « Les Cahiers du Studio est un outil collaboratif de documentation chronologique pour une prise de notes multimédia lors d’une activité ou d’un événement. Chaque bloc est un média : texte, vidéo, photo, piste audio ou document. » Source : L’atelier des chercheurs, 2018, [En ligne], https://latelier-des-chercheurs.fr/outils/les-cahiers-du-studio
Figure 19.1. « Conçu pour documenter et créer des récits à partir d’activités pratiques, do•doc – prononcer doudoc – est un outil composite, libre et modulaire, qui permet de capturer des médias – photos, vidéos, sons et stop-motion –, de les éditer, de les mettre en page et de les publier. Son aspect composite permet de le reconfigurer de manière à ce qu'il soit le plus adapté possible à la situation dans laquelle il est déployé. Les principes de design de do•doc sont : capturer, valider, organiser puis publier. » Source : L’atelier des chercheurs, 2018, [En ligne], https://latelier-des-chercheurs.fr/outils/dodoc
Figure 19.2. « Page d’accueil de do•doc organisée par projets, avec des options d’identification affichées en haut de la page. » Source : ibid.

4.6 Faire connaître la culture libre

La sixième proposition consiste, dans un geste encore plus simple, à faire connaître les projets et la culture du libre. Il peut s’agir d’initiatives pédagogiques, de conférences, d’articles, de posters, etc.

Figure 20 : conçu en 2016 par le designer graphique Anton Moglia, ce poster met en scène l’article « Déclaration d’indépendance du cyberespace » rédigé le 8 février 1996 par l’informaticien John Perry Barlow, qui soutient l’idée qu’aucun gouvernement ne devrait s’approprier Internet. Ce document a été exposé lors du lancement de la police de caractère libre de droits Trickster de Jean-Baptiste Morizot par la fonderie Velvetyne. Source : https://www.velvetyne.fr/fonts/trickster

L’artiste et designer graphique Raphaël Bastide travaille en ce sens. En plus d’accorder un soin à la documentation de ses projets en précisant comment ces derniers sont élaborés, Raphaël Bastide crée des systèmes permettant à n’importe qui de documenter des usages des logiciels libres. Son projet Use & Modify [119] (2014) vise ainsi à permettre de se retrouver dans la multiplicité de polices de caractères libres de droits. Il s’agit d’un gestionnaire de contenus (CMS) que l’on peut installer sur son propre serveur Web pour lister une sélection personnelle de polices, de les commenter, tagger (étiqueter), et ainsi se faire sa propre fonderie.

Figure 21. Capture d’écran du site Web Use & Modify, conçu par Raphaël Bastide en 2014 : « Use & Modify is a personal selection of beautiful, classy, punk, professional, incomplete, weird typefaces. Open source licenses make them free to use and modify. This selection is the result of deep search and crushes. This selection is yours. » Source : https://usemodify.com

Ce système peut aussi servir à des fins pédagogiques, comme le fait l’école des beaux arts de Rennes (EESAB), qui a mis en place un système en ligne, Monoïde [120] (2015), pour que les étudiants d’un cours de dessin de caractères puissent documenter leurs productions et reprendre le travail des précédentes promotions. Raphaël Bastide a également développé Usable, un CMS destiné à lister des projets libres et de rendre accessible les collections ainsi créés. Usable a été initié lors d’un workshop à l’école d’art du Havre (EsadHar), et a depuis été mis en pratique dans d’autres établissements scolaires [121], qui peuvent ainsi construire eux-mêmes, via les étudiants, leurs ressources pédagogiques.

Figure 22. « Usable est une ressource d’outils et de logiciels libres pour la création en plus d’une banque d’inspiration. Ce projet fut réalisé au cours d’une semaine de workshop avec les étudiants de BTS1 et BTS2 en design graphique numérique du lycée Jacques Prévert de Boulogne-Billancourt en 2018. Une première version d’Usable a été initiée par Raphaël Bastide et Bachir Soussi Chiadmi avec les étudiants de l’ESADHaR du Havre en 2016. Usable est un projet lui-même sous licence libre : Le code souce du projet est disponible à l’adresse suivante https://gitlab.com/esadhar/usable ». Source : http://www.btsmultimedia-prevert.fr/R_Bastide_workshop/ui/

Conclusion. Le vide de la liberté

Au terme de cette étude sur les relations historiques et politiques, entre la culture libre et les pratiques de recherche, il apparaît qu’un des points clés consiste, pour les chercheurs, à travailler les façons dont leurs productions peuvent exister pour les autres, c’est-à-dire devenir différentes de ce qu’ils avaient prévu. Si l’on comprend la recherche scientifique comme ce qui constitue des savoirs (sous forme d’articles, d’objets, etc.) pouvant être diffusés, débattus, voire réfutés, les chercheurs doivent penser les modalités concrètes de ce qu’ils font pour que leurs productions puissent résister à l’emprise de la privatisation des connaissances. En effet, cette captation est antithétique à la recherche même, premièrement parce qu’à la visée d’universalité des savoirs elle substitue la question de la propriété de l’accessibilité, et deuxièmement parce qu’elle déplace la recherche comme fin en soi vers des enjeux privés. C’est en partie parce qu’ils comprennent le design comme un abîme aveugle, comme un élément d’agrément extérieur à la démarche de recherche puisque répondant seulement à des enjeux capitalistes, que les chercheurs laissent des instances privées s’annexer les modalités de constitution des savoirs. En ne pensant pas les conséquences de l’incursion de valeurs économiques dans leurs pratiques, les chercheurs subissent une déshérence intellectuelle. Or le champ du design, et du design graphique plus spécifiquement, est riche de tensions et de possibilités permettant de réenvisager la construction et la transmission des connaissances. De telles démarches prolongent les valeurs de la culture hacker qui, comme nous l’avons montré, peut inspirer des libérations des connaissances en permettant de penser la recherche dans ses modalités pratiques et émancipatrices.

L’histoire du capitalisme vise à transformer en marchandises toutes les activités humaines. Il menace donc la notion de culture dans sa « pluralité », et non pas dans la fausse diversité des individus mis en concurrence par le néolibéralisme. C’est ce que le philosophe Michel de Certeau appelait « la culture au pluriel [122] ». Dès la fin des années 1960, De Certeau critiquait le fait que les enseignants se positionnaient comme détenteurs d’un savoir supérieur, et aurait préféré que ces derniers expliquent leur méthodologie scientifique. De façon plus sévère, De Certeau condamnait le leurre de l’autonomie du corps universitaire qui consiste à « situer hors des systèmes de production l’entreprise soi-disant désintéressée qui gaspille les hommes, les forces et l’argent pour sauvegarder la culture des privilèges [123] ». La notion de pluralité défendue par De Certeau trouve donc des résonances politiques dans la culture libre, puisque d’une part celle-ci défend la documentation et le partage des processus de conception, et d’autre part car elle s’inscrit dans une résistance à la privatisation des connaissances. A contrario des démarches dénoncées par Michel de Certeau, une telle pensée n’a pas pour objectif le maintien des privilèges ou la visée d’une rentabilité – soit le repli des chercheurs sur eux-mêmes – mais l’autonomie des acteurs, leur possibilité d’agir le plus librement possible et de rendre les autres libres de faire de même. En effet, dans son essai sur « la crise de la culture », la philosophe Hannah Arendt rapprochait les notions de liberté et de culture par l’idée d’action. Étudiant le cas de résistants de la Seconde Guerre mondiale comme le poète René Char, Arendt montre comment ces derniers ressentirent intimement le sentiment d’exister, c’est-à-dire de vivre hors du poids des traditions et des héritages :

« Dans cette nudité, dépouillés de tous les masques – de ceux que la société fait porter à ses membres aussi bien que de ceux que l’individu fabrique pour lui-même dans ses réactions psychologiques contre la société – ils [les résistants] avaient été visités pour la première fois dans leur vie par une apparition de la liberté, [parce qu’ils] avaient pris l’initiative en main et par conséquent, sans le savoir ni même le remarquer, avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître. ‹ À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis.  » [124]

Une telle pensée se situe aux antipodes de la domestication du hasard et des subjectivités propres au néolibéralisme [125], puisque ce n’est que dans le risque de cette brèche que les êtres humains parviennent à exister en dehors de « l’épaisseur triste » d’une vie privée. Alors que les chercheurs tendent à se replier sur eux-mêmes, essayant de saisir aux creux des plis de leurs recherches les rares espaces d’autonomie qui leur restent, de telles thèses invitent à déplier.

  1. [1] Cet article a pour origine une conférence intitulée « Recherche et culture libre » donnée par Anthony Masure en mars 2018 à l’École supérieure d’art et de design d’Amiens dans le cadre du séminaire « On The Shoulders Of Giants » dirigé par le designer Mark Webster du 26 au 30 mars 2018 autour des outils libres et de l’open source. Écouter la conférence d’origine : http://www.anthonymasure.com/conferences/2018-03-recherche-culture-libre-amiens
  2. [2] Hannah Arendt, « Qu’est-ce que la liberté ? », trad. de l’anglais par Agnès Faure et Patrick Lévy, dans : La Crise de la culture [1961], Paris, Folio, Gallimard, p. 198.
  3. [3] Norbert Wiener, The Human use of Human Beings. Cybernetics and Society [1954], trad. de l’anglais par Pierre-Yves Mistoulon et revu par Ronan le Roux, Paris, Seuil, 2014.
  4. [4] Norbert Wiener, « The Megabuck Era », New Republic, no 138, 27 janvier 1958, p. 10-11.
  5. [5] Mathieu Triclot, « Norbert Wiener et les valeurs de la science », Centre Gaston Bachelard de recherches sur l’imaginaire et la rationalité, université de Bourgogne, Les valeurs de la science, no 3, « Culture scientifique, histoire et philosophie des sciences », 2007.
  6. [6] Norbert Wiener, « The Megabuck Era », op. cit. Trad. des auteurs.
  7. [7] Mathieu Triclot, « Norbert Wiener et les valeurs de la science », op. cit.
  8. [8] Martin Heidegger, « L’époque des ‹ conceptions du monde  » [1949], dans : Chemins qui ne mènent nulle part, trad. de l’allemand par Wolfgang Brokmeier, Paris, Gallimard, 1962, p. 112.
  9. [9] Jacques Lacan, « Introduction de Scilicet au titre de la revue de l’École freudienne de Paris » [1968], dans : Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 285.
  10. [10] Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Stewart Brand, un homme d’influence [2006], trad. de l’anglais par Laurent Vannini, Caen, C&F, 2012.
  11. [11] Alexander R. Galloway, Eugene Thacker, The Exploit. A Theory of Networks, Minneapolis, University of Minnesota Press, coll. Electronic Mediations, 2007, p. 81. Trad. des auteurs.
  12. [12] Richard M. Stallman, Sam Williams, Christophe Masutti, « Une histoire d’imprimante », dans : Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée (2e édition), Paris, Eyrolle, 2013, p. 8.
  13. [13] Richard Stallman, « What Is Free Software? » [1996], dans : Free Software, Free Society. Selected Essays of Richard M. Stallman, 3e édition, Boston, Free Software Foundation, 2015, p. 3-8. Trad. de l’anglais par Frédéric Couchet et Karl Pradène, [En ligne], https://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html
  14. [14] Bob Young, Eric Raymond, The Cathedral & the Bazaar. Musings on Linux and Open Source by an Accidental Revolutionary, Sebastopol, O’Reilly, 1999.
  15. [15] Richard Stallman, « Why Open Source Misses the Point of Free Software » [2007], ibid., p. 75-82. Trad. de l’anglais par Mathieu Stumpf, [En ligne], https://www.gnu.org/philosophy/open-source-misses-the-point.html
  16. [16] Ibid.
  17. [17] Pour plus de détails sur la distinction free/open, voir : Anthony Masure, « Le passage du logiciel à l’application », dans : Le design des programmes, des façons de faire du numérique, thèse dirigée par Pierre-Damien Huyghe, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2014, [En ligne], http://www.softphd.com/these/prospection-design/gratuite-ouverture-liberte
  18. [18] Richard Stallman, « What Is Free Software? », op. cit.
  19. [19] Richard Stallman, «  Why Open Source Misses the Point of Free Software », op. cit.
  20. [20] Voir : Anthony Masure, « Vers des humanités numériques ‹ critiques  », AOC, 5 juillet 2018, [En ligne], https://aoc.media/analyse/2018/07/05/vers-humanites-numeriques-critiques
  21. [21] Karl Marx, Manuscrits de 1844, trad. de l’allemand par Jean-Pierre Gougeon, Paris, Flammarion, 1999.
  22. [22] Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre 1er. Le procès de production du capital [1867], éd. établie par Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Quadrige / Puf, 1993.
  23. [23] Ibid., « 2e section. La Transformation de l’argent en capital, Chap. IV. Transformation de l’argent en capital, 1. La formule générale du capital », p. 166.
  24. [24] Ibid., p. 171-173.
  25. [25] Ibid., 1re section : Marchandise et Monnaie, Chap. 1er. La Marchandise, 4. Le caractère fétiche de la marchandise et son secret », p. 82.
  26. [26] Ibid., p. 81.
  27. [27] Ibid., p. 83.
  28. [28] « Accords de Bretton Woods », Wikipedia, [En ligne], https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Bretton_Woods
  29. [29] Alexandre Laumonier, 6/5, Bruxelles, Zones Sensibles, 2014.
  30. [30] Édouard Pflimlin, « Trading algorithmique : mobilisation contre la ‹ menace › des ordinateurs boursiers », Le Monde, 20 mai 2013, [En ligne], https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/05/20/trading-algorithmique-mobilisation-contre-la-menace-des-ordinateurs-boursiers_3196716_3234.html
  31. [31] Enda Curran, « Global Debt Hits Record $233 Trillion », Bloomberg, 5 janvier 2018, [En ligne], https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-01-05/global-debt-hits-record-233-trillion-but-debt-to-gdp-is-falling
  32. [32] Jeff Desjardins, « All of the World’s Money and Markets in One Visualization », The Money Project, 26 octobre 2017, [En ligne], http://money.visualcapitalist.com/worlds-money-markets-one-visualization-2017
  33. [33] Google Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.
  34. [34] Voir : « Dériver la finance », dossier dirigé par Yves Citton, Multitudes, no 71, été 2018.
  35. [35] Maurizio Lazzarato, La fabrique de l’homme endetté. Essai sur la condition néolibérale, Paris, Amsterdam, 2011, p. 24.
  36. [36] «  Premier de cordée ›, d’où vient l’expression favorite d’Emmanuel Macron ? », LeFigaro.fr, 18 avril 2018, [En ligne], http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2018/04/18/37002-20180418ARTFIG00088-premier-de-cordee-d-o-vient-l-expression-favorite-d-emmanuel-macron.php
  37. [37] Laurent Jeanpierre, « La mort du libéralisme », dans : Fresh Théorie 2, Paris, Léo Scheer, 2006, [En ligne], http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=3078
  38. [38] Groupe Jean-Pierre Vernant, « Que faire ? (1/4) », GroupeJeanPierreVernant.info, 11 octobre 2017, [En ligne], http://www.groupejeanpierrevernant.info/#_ftn1
  39. [39] Laurent Jeanpierre, op. cit.
  40. [40] Nous reformulons ici des catégories établies par le chercheur Yann Moulier-Boutang.
  41. [41] Yann Moulier-Boutang, Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, Paris, Amsterdam, 2007, p. 216.
  42. [42] Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie [1928], trad. de l’anglais par Oristelle Bonis, Paris, Amsterdam, 2007, p. 216.
  43. [43] Yann Moulier-Boutang, « Art et capitalisme cognitif », L’Observatoire, no 3, 2010, p. 43-48, [En ligne], https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2010-3-page-43.htm
  44. [44] Laurent Jeanpierre, « La mort du libéralisme », op. cit.
  45. [45] Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
  46. [46] « Grindr diffuse le statut VIH de ses utilisateurs, AIDES appelle à boycotter l’appli de rencontres », Huffpost, 3 avril 2018, [En ligne], https://www.huffingtonpost.fr/2018/04/03/grindr-diffuse-le-statut-vih-de-ses-utilisateurs-aides-appelle-a-boycotter-l-appli-de-rencontres_a_23401738/
  47. [47] David Graeber, Bureaucratie [2015], trad. de l’anglais par Françoise Chemla, Paris, Actes Sud, 2017.
  48. [48] Jean-Charles Billaut, Denis Bouyssou, Philippe Vincke, « Should you believe in the Shanghai ranking? An MCDM view », rapport interne, Tours, Laboratoire d’informatique de l’université François Rabelais, 29 mai 2009, [En ligne], https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00388319v2/document/
  49. [49] ANR, [En ligne], http://www.agence-nationale-recherche.fr (consulté le 1er août 2018).
  50. [50] Philippe Lavigne Delville, « L’ANR ou l’enlisement d’un dispositif bureaucratique de financement de la recherche par projet », Anthropologie impliquée, 22 janvier 2017, [En ligne], https://anthropo-impliquee.org/2017/01/22/janvier-2016-lanr-ou-lenlisement-dun-dispositif-bureaucratique-de-financement-de-la-recherche-par-projet
  51. [51] Kevin Gross, Carl T. Bergstrom, « Contest models highlight inherent inefficiencies of scientific funding competitions », Cornell University, ArXiv, juin 2018, [En ligne], https://arxiv.org/abs/1804.03732
  52. [52] «  J’arrête parce que nous crevons de ne pas arrêter ›, par Alexis Blanchet (Paris 3) », Fabula.org, 1er mai 2018, [En ligne], https://www.fabula.org/actualites/j-39-arrete-parce-que-nous-crevons-de-ne-pas-arreter-par-alexis-blanchet-paris-3_84915.php
  53. [53] « Les recrutements en chute libre », Histoires d’universités, 28 février 2017, [En ligne], https://histoiresduniversites.wordpress.com/2017/02/28/les-recrutements-en-chute-libre
  54. [54] « Un partenariat indigne des valeurs affichées par l’Éducation nationale », April.org, décembre 2015, [En ligne], https://www.april.org/microsoft-educ-nat-partenariat-indigne/
  55. [55] Camille Stromboni, « Des formations au numérique dispensées par Google à l’université font débat », LeMonde.fr, 5 mars 2018 », [En ligne], https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/03/05/des-formations-au-numerique-dispensees-par-google-a-l-universite-font-debat_5265898_4401467.html
  56. [56] Olivier Ertzscheid, « Facebook forme les chômeurs, Google forme les étudiants. Et les universités vous emmerdent », Affordance.info, 23 février 2018, [En ligne], http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2018/02/facebook-google-universite-formation-et-merde.html
  57. [57] Neil Jomunsi, « Combattre l’absurde : face à l’abondance et au silence, créer malgré tout », Page42.org, février 2018, [En ligne], https://page42.org/abondance-silence-absurde-creer-malgre-tout
  58. [58] Ruedi Baur, Sébastien Thiéry (dir.), Face au brand territorial. Sur la misère symbolique des systèmes de représentation des collectivités territoriales, Zurich, Lars Müller, 2013, p. 75.
  59. [59] Jean-Pierre Grunfeld, « La ville lobotomisée [ou la victoire de Patrick Le Lay] », ibid., p. 214-215.
  60. [60] http://langagevisuel.unistra.fr, 2016.
  61. [61] Collectif, Langages visuels et systèmes complexes. Théorie, généalogie du projet, système. Recherche-action 2015-2016 : lisibilité et intelligibilité de l’université de Strasbourg, Faculté des Arts de l’université de Strasbourg, 2016.
  62. [62] Pierre Litzler, « Langage visuel à l’université. De la misère symbolique à l’expression du savoir », ibid., p. 19.
  63. [63] Jacques Rancière, entretien avec Joseph Confavreux et Lise Wajeman, « Jacques Rancière : ‹ Macron est le pur et simple représentant du capital  », Mediapart, 22 juillet 2018, [En ligne], https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/220718/jacques-ranciere-macron-est-le-pur-et-simple-representant-du-capital?xts=&xtor=EPR-1013-%5Barticle-offert%5D&xtloc=&url=&M_BT=2907679699
  64. [64] « Atelier création-contestation », mars-avril 2018, [En ligne], https://ateliercreationcontestation.github.io/ateliers
  65. [65] Auteurs (liste non exhaustive) : Jonathan Brouillon-Chevalier (étudiant en L2 Design), Charlotte Dourrieu (étudiante en L2 Design), Anthony Masure (maître de conférences en design), Anna Pavie (étudiante en L2 Design), Pia Pandelakis (maître de conférences en design), Rhinocéros Anonyme, Sabÿn Soulard (PRAG en arts plastiques).
  66. [66] #Bullshidex, mars 2018, [En ligne], https://ateliercreationcontestation.github.io/dico
  67. [67] Ibid.
  68. [68] Jekyll, Prose.io, etc. Le code source est hébergé sur la plateforme GitHub sous licence libre CC BY-SA
  69. [69] Polices Trickster et Sporting Grotesque, SIL Open Font License, Velvetyne Type Foundry.
  70. [70] Données fournies par Twitter.com à partir de ce seul tweet : https://twitter.com/AnthonyMasure/status/973199233519104001
  71. [71] Martin Bodrero, « Avec le Bullshidex, déconstruire ‹ la langue de l’esquive ›, la novlangue managériale », Radio Parleur, 26 avril 2018, [En ligne], https://www.radioparleur.net/single-post/bullshidex-novlangue-manageurs
  72. [72] Groupe Jean-Pierre Vernant, [En ligne], http://www.groupejeanpierrevernant.info
  73. [73] Voir : Bruno Andreotti, entretien avec Véronique Soulé, « Les communautés d’établissements se rajoutent au millefeuille existant », Liberation.fr, 21 mai 2014, [En ligne], http://www.liberation.fr/societe/2014/05/21/les-communautes-d-etablissements-se-rajoutent-au-millefeuille-existant_1023698
  74. [74] Sciences en Marche, [En ligne], http://sciencesenmarche.org
  75. [75] RogueESR, [En ligne], http://rogueesr.fr : «  Rogue › renvoie à la révolte, le mot a été utilisé par les scientifiques et les académiques étasuniens à l’occasion de la ‹ march for science › pour lutter contre les politiques de Trump (ex. : RogueNasa). »
  76. [76] RealUNIVFrance, [En ligne], https://twitter.com/realunivfrance
  77. [77] ANES, [En ligne], http://excellagence.fr
  78. [78] « Quizz ANES vs ANR », ANES, [En ligne], http://excellagence.fr/quiz-anr
  79. [79] Springer, [En ligne], https://www.springer.com (consulté le 29 juillet 2018).
  80. [80] On pourra distinguer ici le publisher (au sens anglo-saxon), c’est-à-dire celui qui publie sans valeur ajoutée, de l’editor (éditeur), qui opère un travail de curation et d’accompagnement des auteurs.
  81. [81] Mathilde Chasseriaud, « La controverse en matière de publication des articles scientifiques », Echosciences-grenoble.fr, août 2016, [En ligne], https://www.echosciences-grenoble.fr/articles/la-controverse-en-matiere-de-publication-des-articles-scientifiques
  82. [82] « Recommandations pour la qualification aux fonctions de MCF », Section 16 du CNU (Psychologie), juillet 2018, [En ligne], https://www.conseil-national-des-universites.fr/cnu/#/entite/entiteName/CNU/idChild/32
  83. [83] Research in Psychoanalysis, « Submission Preparation Checklist », [En ligne], http://pub.respsyjournal.com/index.php/respsy/about/submissions#authorGuidelines : « The article must contain at least eight references to scholarly articles published over the last 15 years in journals that are indexed in the major databases (PsycINFO, Scopus, PubMed). Any exception to this requirement must be justified by a written commentary. »
  84. [84] Natalie Lundsteen, « Job search strategies for early career researchers », Elsevier.com, juin 2018, [En ligne], https://researcheracademy.elsevier.com/career-path/job-search/job-search-strategies-early-career-researchers
  85. [85] André Gunthert, Didier Rykner, Jean-Baptiste Soufron, Giovanni Careri, Corinne Welger-Barboza, « Le droit aux images à l’ère de la publication électronique », Études photographiques, 19 décembre 2006, [En ligne], http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/930
  86. [86] André Gunthert, « Le droit d’auteur illustré », Études photographiques, 17 novembre 2005, [En ligne], http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/745
  87. [87] Thomas Fourmeux, Lionel Maurel, « Copyright Madness », série d’articles, Numerama, [En ligne], https://www.numerama.com/tag/copyright-madness
  88. [88] Lionel Maurel, « Pourquoi nous avons besoin d’un droit de citation audiovisuelle », S.I.Lex, 17 octobre 2015, [En ligne], https://scinfolex.com/2015/10/17/pourquoi-nous-avons-besoin-dun-droit-de-citation-audiovisuelle
  89. [89] Lawrence Lessig, « Le code fait loi – De la liberté dans le cyberespace », trad. de l’anglais par Framalang, Framasoft.org, 22 mai 2010, [En ligne], https://framablog.org/2010/05/22/code-is-law-lessig
  90. [90] Creative Commons, [En ligne], https://creativecommons.org
  91. [91] Lawrence Lessig, Culture libre. Comment les médias utilisent la technologie et la loi pour confisquer la culture et contrôler la créativité [2004], trad. de l’anglais collaborative, Lulu.com (auto-édition), 2012, [En ligne], http://free-culture.cc
  92. [92] Ibid., préface.
  93. [93] Damien Leloup, « Aaron Swartz, itinéraire d’un enfant du Net », LeMonde.fr, 30 juin 2004, [En ligne], https://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/06/30/aaron-swartz-itineraire-d-un-enfant-du-net_4447830_4408996.html
  94. [94] Aaron Swartz, Celui qui pourrait changer le monde [2015], trad. de l’anglais par Marie-Mathilde Bortolotti et Amarante Szidon, Paris, B42, 2017.
  95. [95] Hannah Arendt, « Qu’est-ce que la liberté ? », op. cit.
  96. [96] Aral Balkan, « Reclaiming RSS », Ar.al, 29 juin 2018, [En ligne], https://ar.al/2018/06/29/reclaiming-rss
  97. [97] Ian Graber-Stiehl, « Science’s pirate queen », TheVerge.com, 8 février 2018, [En ligne], https://www.theverge.com/2018/2/8/16985666/alexandra-elbakyan-sci-hub-open-access-science-papers-lawsuit
  98. [98] Ian Graber-Stiehl, « Science’s pirate queen », op. cit.
  99. [99] Jon Tennant, « Elsevier are corrupting open science in Europe », TheGuardian.com, 29 juin 2018, [En ligne], https://amp.theguardian.com/science/political-science/2018/jun/29/elsevier-are-corrupting-open-science-in-europe
  100. [100] Jacques Lacan, « Introduction de Scilicet », op. cit.
  101. [101] « LOI no 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique », Legifrance : « Lorsqu’un écrit scientifique issu d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par [fonds publics] est publié dans [une revue], son auteur dispose […] du droit de le mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique […]. Ce délai est au maximum de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales. »
  102. [102] « Mertonian norms », Wikipedia, [En ligne], https://en.wikipedia.org/wiki/Mertonian_norms
  103. [103] Robert K. Merton, « The Normative structure of Science » [1942], dans : The Sociology of Science: Theoretical and Empirical Investigations, The University of Chicago Press, 1973, p. 268-269. Trad. des auteurs.
  104. [104] Ibid., p. 275.
  105. [105] Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel [1964], Paris, Minuit, 1968.
  106. [106] Lionel Maurel, « Les Communs numériques sont-il condamnés à devenir des ‹ Communs du capital  ? », S.I.Lex, 24 juin 2018, [En ligne], https://scinfolex.com/2018/06/24/les-communs-numeriques-sont-il-condamnes-a-devenir-des-communs-du-capital/
  107. [107] Theodor W. Adorno, « L’industrie culturelle », Communications, no 3, 1964.
  108. [108] Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, La Dialectique de la raison [1947], Paris, Gallimard, 1974, p. 215.
  109. [109] Voir : Félix Guattari, « De la production de subjectivité », dans : Chaosmose, Paris, Galilée, coll. La philosophie en effet, Paris, 1992.
  110. [110] « Loi pour une République numérique », op. cit.
  111. [111] Antoine Moreau, « Free Art Licence », [En ligne], http://artlibre.org, 2000 : « La Licence Art Libre est un contrat qui applique le concept du ‹ copyleft › à la création artistique. Elle autorise tout tiers […] à procéder à la copie, la diffusion et la transformation, comme l’exploitation à titre gratuit ou onéreux d’une œuvre à condition qu’il soit toujours possible de la copier, la diffuser ou la transformer. »
  112. [112] « Licence Édition équitable », [En ligne], http://edition-equitable.org
  113. [113] Nicolas Taffin (dir.), Pages publiques, Caen, C&F, 2012.
  114. [114] Code X, Orléans, Hyx, 2017, [En ligne], http://www.editions-hyx.com/fr/code-x : « Code X est un journal publié à l’occasion du salon de l’édition alternative organisé par PrePostPrint à La Gaîté Lyrique, le 21 octobre 2017. »
  115. [115] Voir pour exemple : « Living Books about History », Berne, Infoclio.ch, 2016, [En ligne], https://www.livingbooksabouthistory.ch/fr
  116. [116] Nick Montfort, Patsy Baudoin, John Bell, Ian Bogost Jeremy Douglass, Mark C. Marino, Michael Mateas, Casey Reas, Mark Sample, Noah Vawter, 10 PRINT CHR$(205.5+RND(1)) ; : GOTO 10, Cambridge, The MIT Press, 2013.
  117. [117] Antoine Fauchié, « Un mémoire en dépôt », Quaternum.net, 4 juin 2018, [En ligne], https://www.quaternum.net/2018/06/04/un-memoire-en-depot
  118. [118] L’atelier des chercheurs, [En ligne], https://latelier-des-chercheurs.fr
  119. [119] Raphaël Bastide, Use & Modify, [En ligne], https://usemodify.com
  120. [120] Raphaël Bastide, « Monoïde. Documenter les productions typographiques des écoles d’art », Paris, B42/Fork, Back Office, no 1 « Faire avec », février 2017, [En ligne], http://www.revue-backoffice.com/numeros/01-faire-avec/raphael-bastide-monoide
  121. [121] Raphaël Bastide, Usable, [En ligne], http://www.btsmultimedia-prevert.fr/R_Bastide_workshop/ui
  122. [122] Michel de Certeau, La culture au pluriel [1974], Paris, Seuil, 1993.
  123. [123] Ibid.
  124. [124] Hannah Arendt, « La brèche entre le passé et le futur », trad. de l’anglais par Jacques Bontemps et Patrick Lévy, dans : La Crise de la culture [1961], Paris, Folio, Gallimard, 2011, p. 12-13. Le passage entre guillemets est de René Char (Feuillets d’Hypnos, 1943-1944).
  125. [125] Laurent Jeanpierre, « La mort du libéralisme », op. cit.
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